Une voix contre la dictature

15-12-2011 10:12 AM


Le prix Nobel de littérature récompense chaque année l’auteur qui ” produit dans le domaine littéraire l’oeuvre la plus remarquable d’une tendance idéaliste”. Depuis 1901, le prix Nobel de littérature a été décerné à des écrivains, poètes et auteurs dramatiques de tout style et de toute horizon. Ce auteurs ont un point commun : un engagement largement présent dans leurs écrits. Le prix Nobel de littérature ne récompense en effet pas un ouvrage mais le travail dans sa totalité. Tous ont dépeint le XXème siècle, ses luttes, ses atrocités, ses absurdités, ses entraves à la liberté d’expression de leur plume écorchée et critique mais toujours fluide et talentueuse.

L’Allemande d’origine roumaine , Herta Müller, une auteure jadis persécutée par le régime de Ceausescu pour ses descriptions critiques de la vie en Roumanie avant la chute du communisme s’est vue attribuer, jeudi 8 octobre, le prix Nobel de littérature 2009. Elle succède à JMG Le Clezio. Elle est récompensée pour avoir “avec la densité de la poésie et la franchise de la prose, dépeint l’univers des déshérités”, a précisé l’Académie Nobel.

L’exil, la cohabitation des cultures, la fuite d’un régime communiste. Les thèmes abordés par l’écriture précise, exigeante d’Herta Müller sont ceux de son vécu, de son enfance dans le Banat – la région germanophone de Roumanie où elle est née en 1953 -, de son départ pour l’Allemagne de l’Ouest à l’âge de 34 ans, de la mémoire persistante de la censure sous la dictature de Ceaucescu.
Lorsque l’Académie suédoise a décerné le prix Nobel de littérature 2009 à Herta Müller, l’institution a salué l’aptitude de l’écrivain à peindre “le paysage des dépossédés avec la concentration de la poésie et l’objectivité de la prose”, à dessiner “les paysages de l’abandon”.

Biographie

Herta Müller est née Souabe du Banat, minorité allemande de Roumanie vivant dans cette région. Son grand-père était un riche fermier et homme d’affaires exproprié par le régime communiste d’après-guerre. Sa mère est déportée en URSS et y passe plusieurs années dans un camp de travaux forcés du Goulag. Son père, ancien soldat de la Waffen-SS, gagne sa vie comme chauffeur de camion.

Après l’école secondaire, Herta Müller étudie les littératures germanique et roumaine à l’université de Timicoara.

À partir de 1976, elle travaille comme traductrice dans une usine de machines, mais est licenciée en 1979 après son refus de coopérer avec la Securitate, la police secrète roumaine. Elle gagne alors sa vie comme enseignante temporaire dans des écoles – entre autre le lycée germanophone Nikolaus Lenau de Timicoara – et dans les écoles maternelles ayant des cours privés d’allemand. Dans les années 1970, elle est proche de l’Aktionsgruppe Banat, un groupe d’intellectuels roumains d’origine allemande qui était surveillé de près par la Securitate. Elle fait aussi partie du cénacle littéraire (Literaturkreis) Adam Müller-Guttenbrunn, cénacle affilié à l’Association des écrivains de Timicoara (Asociacia Scriitorilor din Timicoara).

Son premier livre, Niederungen (Bas-fonds) est publié en 1982, mais est censuré, comme toutes ses autres publications parues en Roumanie avant la chute du régime communiste. Deux ans plus tard, peu de temps après la publication de son deuxième livre en Roumanie, Niederungen est publié en version intégrale en République fédérale d’Allemagne. La réaction des autorités communistes roumaines est sévère : Herta Müller se voit interdire le droit de publier en Roumanie.

En 1987, Herta Müller émigre avec son mari, l’écrivain Richard Wagner, en République fédérale d’Allemagne. Les années suivantes, elle obtient plusieurs postes d’enseignante comme écrivain « en résidence » dans des universités allemandes et étrangères.

En 2005, elle est professeur invité à la chaire « Heiner Müller » de l’université libre de Berlin, où elle vit aujourd’hui. Au cours de la même année, elle publie son premier livre écrit en roumain (le volume de poésie-collage Este sau nu este Ion Iaci : Polirom).

Herta Müller a été membre jusqu’à sa démission en 1997, du PEN club d’Allemagne. Depuis 1995, elle est membre de l’« Académie allemande pour la langue et la littérature » (Deutsche Akademie für Sprache und Dichtung).

En 2008 a eu lieu un débat de politique intérieure concernant la participation de l’historien Sorin Antohi et du germaniste Andrei Corbea-Hoisie à une réunion de l’« Institut culturel roumain de Berlin » du 25 juillet 2008, car tous les deux avaient été des informateurs de la Securitate.

Herta Müller a critiqué l’invitation dans une lettre ouverte. Dans le cadre de cette polémique, l’historien, philosophe et homme de lettres Carl Gibson, lui aussi natif du Banat, l’a attaquée en lui reprochant dans son livre Symphonie der Freiheit (Symphonie de la liberté) le système de loyauté sous le régime Ceaucescu.

Dans un article paru dans l’hebdomadaire Die Zeit le 23 juillet 2009 et intitulé « La Securitate est toujours en service », Herta Muller décrit à quelles mesures « pour le compromis et l’isolement » elle a été soumise par les services secrets roumains et l’est encore aujourd’hui. Les dossiers da la Securitate indiquent comment sa critique infatigable vis-à-vis de la dictature Ceaucescu devait être rendue peu digne de foi par des mesures prises pour la discréditer. Ainsi, des lettres forgées par la Securitate ont été envoyées à des stations de radio allemandes, dans lesquelles elle était accusée d’en être un agent. En outre, ils ont accusé des personnes dirigeantes de la Communauté des Souabes du Banat, d’être des collaborateurs informels de la Securitate, au nom du Parti communiste roumain.

En 2009, son roman Atemschaukel publié grâce à une bourse de la Fondation Robert Bosch, est nommé pour le Prix du livre allemand, et atteint la finale des six meilleurs romans: dans ce livre, l’auteur retrace le parcours d’un jeune homme dans un camp du Goulag soviétique, exemple du sort de la population allemande de Transylvanie après la Seconde Guerre mondiale. Elle dit s’être inspirée de l’expérience du poète Oskar Pastior, décédé en 2006 et lauréat du prix Georg-Büchner, dont elle avait consigné les souvenirs oraux dans plusieurs cahiers.

Le 8 octobre 2009, elle reçoit le prix Nobel de littérature pour l’entièreté de son œuvre « qui, avec la concentration de la poésie et l’objectivité de la prose, dépeint les paysages de l’abandon. ».

Influences

Bien que Müller n’ait pas parlé publiquement depuis longtemps des personnes ou des livres qui l’ont influencée sur le plan littéraire, elle a attribué ses racines à d’autres sources. La plus importante d’entre elles serait ses études universitaires en littérature allemande et roumaine. En comparant les deux langues, elle relève qu’un concept simple, comme une étoile filante peut être interprétée de façon différente. « Nous ne parlons pas seulement de mots différents, mais aussi de différents mondes. [Par exemple] les Roumains voient une étoile filante et disent que quelqu’un est décédé, alors que les Allemands font un vœu lorsque ils voient une étoile filante ». H. Müller poursuit en disant que la musique folklorique roumaine occupe une place particulière dans son cœur. « Quand j’ai entendu Maria Tanase, elle sonnait incroyablement pour moi, c’est alors la première fois que j’ai vraiment ressenti ce que signifie le folklore. La musique folklorique roumaine est liée à l’existence d’une façon très significative ».
Une autre importante source d’influence serait l’époux d’Herta Müller, Richard Wagner. Leur vie a des parallèles considérables: tous deux ont grandi en Roumanie et ont entrepris des études littéraires en allemand et en roumain à l’université de Timişf4 oara. Leurs études terminées, ils travaillent comme enseignants en langue allemande, et sont membres de l’Aktionsgruppe Banat, une société littéraire qui s’est battue pour la liberté d’expression. Comme sa femme, R. Wagner est un romancier et essayiste publié.

L’implication d’H. Müller avec l’Aktionsgruppe Banat aurait également influencé la hardiesse avec laquelle elle a écrit, en dépit de sa connaissance des menaces et des difficultés qu’elle subirait de la police secrète roumaine. En outre, alors que ses livres sont des fictions, elle les base sur des évènements réels de la vie et des gens. Ainsi, l’un des personnages de son roman de 1994, Herztier] est basé sur un ami proche de l’Aktionsgruppe Banat. Ce roman a été écrit après la mort de deux amis dans laquelle Herta Müller soupçonne l’implication de la police secrète.

Herta Müller a choisi d’écrire en allemand, sa langue maternelle. “La langue de l’écriture, le haut-allemand, coexistait avec le dialecte, le souabe du Banat, et la langue véhiculaire, le roumain, explique-t-elle. À cela s’ajoutait la langue de bois du régime qui avait détourné le langage à son profit. D’où notre vigilance pour éviter les mots ou les concepts violés ou souillés par le politique. Ils renvoyaient à une réalité qui n’était pas la nôtre. Pour écrire notre réalité, nous devions sans cesse chercher un langage innocent.”
“J’ai dû apprendre à vivre en écrivant et non vice-versa. Je voulais vivre à la hauteur de mes rêves, c’est tout. L’écriture fut alors pour moi une manière d’exprimer ce que je ne pouvais pas vivre effectivement. ”

Traductions en français
Herta Müller, enfin, est un auteur encore méconnu en France. Seuls trois de ses livres ont été traduits : hormis La Convocation, Le renard était déjà chasseur et L’homme est un grand faisan sur terre, publié chez Gallimard. Cette dernière maison d’édition devrait palier à ce manque en publiant l’an prochain son dernier ouvrage, Atemschaukel, qui s’intitulera en français “La balançoire du souffle”.

“Mon petit jeu avec le roumain”

Ses quelques écrits en roumain sont des poésies composées de collages à partir de journaux et de magazines roumains. ”C’est mon petit jeu avec le roumain”, racontait-t-elle dans un entretien à la Radio roumaine internationale en 2007. “Je trouve que la langue roumaine se révèle dans toute sa beauté dans son usage quotidien, celui que j’ai appris lorsque je travaillais comme traductrice dans l’industrie automobile”, a-t-elle dit.

Sous la plume d’Herta Müller, la Roumanie n’est pas que dictature pétrifiante et opposition politique souterraine. “Je dois dire que j’ai beaucoup plus appris du folklore musical, dit-elle dans ce même entretien accordé à la radio roumaine. La voix de Maria Tanase résonne incroyablement dans mes oreilles. En revanche, le folklore allemand ne m’inspire rien du tout.”

Ses derniers livres parus sont “Der Fuchs war damals schon der Jäger” (Le renard était déjà le chasseur, 1998), “Herztier” et “Heute wäre ich mir lieber nicht begegnet” (La Convocation, 2001). Son dernier roman, sorti en août, “Atemschaukel”, évoque l’exil des Roumains germanophones vers l’URSS après la guerre. Il a reçu un accueil très favorable de la critique allemande.

Outre le prix Nobel, Herta Müller a déjà été récompensée de nombreux prix littéraires, dont le prix Kleist en Allemagne, en 1994, le prix Impac, en Irlande, ou encore le prix Würth pour la littérature européenne, en 2006. “Je suis étonnée et je n’arrive toujours pas à y croire. Je ne peux rien dire de plus pour le moment”, a déclaré la nouvelle lauréate du prix Nobel lorsqu’elle a appris la nouvelle.

Legendes
1 Le roman « Atemschaukel » est basé sur l’expérience vécue par la mère d’Hertha Müller dans un camp de travail soviétique dans l’actuelle Ukraine, à partir de 1945.

2 Hertha Müller a fui la Roumanie il y a plus de 20 ans, ses livres y étaient censurés sous le régime de Ceausescu.

3 L’écrivain d’origine roumaine Hertha Müller vit en Allemagne depuis 1987.

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