Agitation sociale massive en France

15-12-2011 09:06 AM

Abdel Massih Felli - Michael Victor


Stations-service à sec, heurts avec les lycéens, transports bloqués ou perturbés: la mobilisation sur les retraites ne désarmait pas mardi et le président Nicolas Sarkozy a annoncé des mesures pour “garantir l’ordre”.
 La situation sociale s’est envenimée mardi avec la multiplication de blocages de centres nerveux de l’économie et la poursuite de l’agitation lycéenne, sur fond de nouvelles manifestations massives contre la réforme des retraites sur laquelle le gouvernement reste inflexible.
Pour la troisième fois en huit jours et la sixième depuis la rentrée, plus d’un million de salariés et de jeunes, quelles que soient les sources, ont défilé dans 277 villes – un nombre record, selon la CGT – à une semaine de l’adoption définitive du texte par le parlement.
Selon la CGT, ils étaient 3,5 millions, autant que lors du “pic” du 12 octobre, soit “un niveau exceptionnel” selon son leader Bernard Thibault. Mais ils étaient 1,1 million, selon le ministère de l’Intérieur (1,23 le 12).
Le Premier ministre François Fillon en a conclu que le mouvement “plafonne, commence à s’essouffler” et, en même temps, “se radicalise”.
Bernard Thibault, lui, a appelé une énième fois le gouvernement à “entendre l’ampleur de cette protestation” et à ouvrir “des négociations”.
Face à l’escalade, le président Nicolas Sarkozy a tenu une réunion pour organiser le déblocage des raffineries occupées par les salariés en grève et “garantir l’ordre public”, tout en appelant chacun à la “responsabilité” devant les débordements.


Responsabilité de chacun
Nicolas Sarkozy a réaffirmé mercredi en conseil des ministres sa volonté de mener la réforme des retraites à son terme, de garantir le respect de l’ordre républicain et de débloquer tous les dépôts de carburant paralysés par des opposants à ce projet.
“Je mènerai à son terme la réforme des retraites car mon devoir en tant que chef de l’État est de garantir aux Français qu’eux-mêmes et leurs enfants pourront compter sur leur retraite et que le niveau des pensions sera maintenu”, a notamment déclaré le chef de l’État, selon le texte de sa déclaration rendu public par l’Élysée. “Cette réforme, j’ai voulu qu’elle soit la plus juste possible”, a poursuivi le président de la République. “Avec le gouvernement, j’ai donc été attentif à toutes les propositions, notamment celles des partenaires sociaux, qui permettaient de progresser dans cette voie sans mettre en péril l’équilibre de nos retraites.”
“C’est une réforme difficile, j’en suis le premier conscient”
“Ainsi, ceux qui ont commencé leur vie professionnelle très jeunes, ou qui ont eu des travaux pénibles, pourront continuer à prendre leur retraite à 60 ans, voire avant”, a-t-il rappelé, citant des “protections spécifiques” prévues pour la retraite des mères de famille. Se montrant attentif aux revendications de l’opposition, Nicolas Sarkozy a précisé que “de nouveaux prélèvements de solidarité, sur le capital et les plus hauts revenus”, participeraient au financement de la réforme.
“C’est une réforme difficile, j’en suis le premier conscient”, a dit le chef de l’État, “il est normal que dans une démocratie chacun puisse exprimer son inquiétude ou son opposition”. “Mais certaines limites ne doivent pas être franchies, et mon devoir est de garantir le respect de l’ordre républicain au service de tous les Français.” “Pour des millions de nos concitoyens, les transports constituent une question vitale”, a noté le président de la République, “il s’agit là d’une liberté fondamentale”. Nicolas Sarkozy annonce ensuite : “J’ai donné hier des instructions pour débloquer la totalité des dépôts de carburants afin de rétablir au plus tôt une situation normale.”
“Le désordre qui a été provoqué par ces blocages produit de nombreuses injustices”, a estimé Nicolas Sarkozy. “S’il n’y est pas mis un terme rapidement, ces désordres, qui cherchent à créer la paralysie du pays, pourraient avoir des conséquences en termes d’emploi, en détériorant le déroulement normal de l’activité économique”, a-t-il développé, estimant que ces désordres pénalisaient “les plus vulnérables des Français” et “ceux dont la responsabilité est d’assurer les missions de sécurité et de santé, au service du bien commun”. Et le chef d’État de conclure : “J’en appelle à la responsabilité de chacun.”


Manifestations


Selon François Fillon, un “tiers des départements” sont touchés par des difficultés d’approvisionnement. Le gouvernement va donc préparer “un plan d’acheminement des carburants”, a-t-il dit pour un retour à la normale d’ici “4 à 5 jours”.
Les entreprises commencent à tourner au ralenti car le personnel peine à se rendre au travail, surtout en zone rurale, selon la CGPME.
En outre, une série d’actions coup de poing ont provoqué le blocage momentané de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac durant deux heures, d’une importante plate-forme logistique près de Lille, d’une usine de transformation d’amidon dans le Pas-de-Calais, entre autres.
A Vesoul (Haute-Saône), environ 400 personnes ont bloqué pendant deux heures la totalité des axes d’entrée et de sortie de la ville. A Brest, des manifestants ont occupé les voies ferrées.
Chez les jeunes, très visibles dans les cortèges (un millier à Agen, selon la police, par exemple), la mobilisation va crescendo: 379 lycées étaient perturbés, tandis que la grève était votée dans plus d’une dizaine d’universités. Des affrontements se sont à nouveau produits devant un lycée de Nanterre.
A la SNCF, la grève a été plus suivie que la veille (de 30,4% à 42,68% selon les sources). Mais moins que le 12 octobre, tout comme dans la Fonction et les entreprises publiques (15,3% à EDF).
Dans plusieurs grandes villes, les manifestations ont atteint des records, selon la police: 26.000 à Rennes (50.000 selon la CFDT), 35.000 à Toulouse (155.000), 15.000 à Grenoble (80.000).
A Paris, les manifestants étaient aussi nombreux que le 12 selon la CGT (330.000 personnes), 22.000 de moins selon la police (67.000).
Des incidents, faisant quelques blessés légers, ont eu lieu en marge de défilés: cinq à six magasins pillés à Lyon, heurts au Havre, Lorient, Limoges entre manifestants et forces de l’ordre.
Mais l’humour était aussi au rendez-vous. “Les vieux au boulot et les jeunes au bistrot, NON. Les jeunes au turbin, les vieux au jardin, OUI”, lisait-on sur la pancarte de jeunes à Auch.
Les syndicats, qui se réunissaient jeudi, sont confrontés maintenant à un casse-tête, avec le vote imminent du Sénat combiné aux vacances de la Toussaint dès vendredi. Il faut trouver “une autre réponse”, a estimé le numéro un de la CFDT François Chérèque.
Pour Jacques Voisin (CFTC), il faut “trouver les conditions d’une mobilisation maximum” après les vacances. “Une fois votée, la réforme restera injuste”, renchérit la FSU. Seule la CFE-CGC, qui ne veut “pas cautionner les dérapages”, propose une “pause”.


Deux sondages


Deux sondages parus mercredi 20 octobre viennent conforter les opposants à la réforme des retraites. Selon une enquête Viavoice pour Libération, 79% des personnes interrogées contre 18% se disent favorables à une reprise des négociations avec les syndicats. 66% des sondés (contre 30%) s’opposent à “un maintien du projet en l’état, sans rien changer”. 60% contre 37% demandent une “modification profonde” du projet de loi. Si la réforme du gouvernement n’est pas acceptée, en revanche, le mouvement de contestation bénéficie d’un large soutien. Les deux-tiers des Français (67%) approuvent les grèves et manifestations, 30% étant d’un avis inverse selon Viavoice. 65% des Français désapprouvent la fermeté de Nicolas Sarkozy face aux grèves et aux manifestations, contre 32% étant d’un avis contraire. Un second sondage, réalisé par BVA pour Absoluce, Les Echos et France-Info, va dans le même sens. 59% des Français s’y disent favorables à ce que le mouvement de contestation se poursuive, même après l’adoption du projet de loi par le Sénat. 40% y sont opposés.

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