Cannes 2023 vitrine du cinéma africain

08-06-2023 01:46 PM


Le nombre record de films africains présentés au 76e Festival de Cannes a alimenté les discussions sur le renouveau du cinéma sur le continent, porté par une nouvelle génération de réalisatrices. Cette année, le « Carrosse d’Or », décerné dans le cadre de la « Quinzaine des réalisateurs », a été remis au Malien Souleymane Cissé, cinéaste chevronné à qui l’on doit la réinvention du cinéma en tant que forme d’art africaine.

Cette année, l’Afrique a fait un bond qualitatif avec six films en sélection officielle, dont deux en lice pour la Palme d’or. Jusqu’ici, ce n’était qu’un réalisateur africain en sélection officielle et le Festival rendait souvent hommage aux doyens du cinéma africain à travers cette plus prestigieuse sélection du monde.
L’édition 2023 a changé la donne. La nouvelle présidente du Festival, Iris Knobloch, a justement fait remarquer pour dire : ‘’Il y a un avant et un après-Cannes’’.

Cette année, les réalisatrices ont effectué une percée au sein de la compétition officielle avec sept femmes parmi les 21 cinéastes en lice. Souvent absente de la compétition officielle, l’Afrique était représentée cette année par deux de ces réalisatrices, considérées par Thierry Frémaux comme les fers de lance d’une “nouvelle génération” de cinéastes sur le continent.

La Tunisienne Kaouther Ben Hania a fait sa première apparition sur le tapis rouge vendredi 26 mai pour son film “Les Filles d’Olfa”. Un film à mi-chemin entre fiction et documentaire, qui raconte les efforts d’une mère pour retrouver ses filles attirées par le djihad en Syrie. Le lendemain, la Sénégalaise Ramata-Toulaye Sy a présenté son histoire d’amour torturée “Banel & Adama”, seul premier film dans la course à la Palme d’or.

La sélection de ces deux femmes cinéastes a créé une excellente édition pour le cinéma africain, quatre ans après le sacre de la réalisatrice franco-algérienne Mati Diop, qui avait remporté un Grand Prix surprise à Cannes pour son premier long métrage, “Atlantique”. Il s’agit également d’une forme de reconnaissance tardive pour un continent qui n’a remporté qu’une seule Palme d’or, en 1975, pour “Chronique des années de braise” du réalisateur algérien Mohammed Lakhdar-Hamina.

La section « Un certain regard », consacrée aux talents émergents, a présenté quatre autres films africains. Les réalisateurs marocains Asmae El Moudir “La mère de tous les mensonges” et Kamal Lazraq “Les meutes” ont évoqué la vie quotidienne et la pègre de Casablanca, tandis que l’artiste hip-hop congolais Baloji s’est attaqué à la sorcellerie dans son premier film, “Augure”. Parmi les films les plus attendus figurait “Goodbye Julia” de Mohamed Kordofani, une exploration des racines du chaos qui règne actuellement au Soudan, racontant l’histoire d’un chanteur retraité du nord du Soudan, ravagé par la culpabilité après avoir dissimulé un meurtre.

Le long métrage “Omar la fraise” du réalisateur franco-algérien Elias Belkeddar, avec Reda Kateb dans le rôle d’un gangster exilé qui tente de revenir dans le métier, a quant à lui été diffusé lors d’une projection de minuit.

Les films africains étaient également présents dans les sélections parallèles, « la Quinzaine des Réalisateurs », « la Semaine de la Critique et l’Acid », avec des films du Cameroun “Mambar Pierrette”, de Tunisie “Machtat”, de Guinée Bissau “Nome” et d’Égypte “Paradis” – ces deux derniers ayant contribué à élargir le spectre au-delà des pays francophones.
A cet égard, le jeune réalisateur égyptien Mourad Moustafa a pris le relais pour présenter l’Egypte à l’écran de cette 76ème édition de Cannes, à travers son court métrage « Issa, je te promets le paradis », sélectionné pour participer à la section « Semaine de la Critique ».
Ce 3ème court-métrage de Mourad raconte l’histoire d’un jeune immigré africain de 17 ans vivant en Egypte qui tente de courir contre la montre pour sauver ses proches suite à un violent accident. Il met en vedette Kenny Marcelino et Kenzi Mohamed. Le jeune réalisateur développe actuellement son premier long métrage « Aïcha ne peut plus voler », passant 135 jours en tant qu’invité parmi 6 jeunes cinéastes du monde entier dans le cadre du programme « Film Residence » du Festival de Cannes, subissant toutes sortes d’accompagnement, de formation et d’encadrement lors de l’écriture du premier ou du second l’expérience de chacun de ces jeunes cinéastes en résidence.

L’abondance et la diversité des films proposés sont une source de “fierté et de confiance” pour Aïssatou Diallo Sagna, actrice française d’origine guinéenne qui officie en tant que “marraine” du Pavillon Afrique au 76e Festival de Cannes.
“Je pense que beaucoup de gens ne connaissent pas encore le cinéma africain et sa diversité”, a souligné la comédienne qui figurait au casting du film de Catherine Corsini, lors d’un cocktail organisé à l’occasion du lancement du pavillon. “Ils pourront découvrir de nouvelles formes de cinéma, de nouvelles facettes du cinéma.”

Outre cette flopée de nouveaux films, « la Quinzaine des réalisateurs » a réservé cette année une place toute particulière à une légende du cinéma africain, Souleymane Cissé, qui s’est vu décerner le Carrosse d’Or, un prestigieux prix honorant les réalisateurs qui ont marqué l’histoire.
Son envoutant chef-d’œuvre “Yeelen” (La Lumière – 1987) avait fait du cinéaste malien une coqueluche du cinéma d’art et d’essai occidental.
Œuvre profondément spirituelle enracinée dans les traditions orales de l’Afrique précoloniale, le long-métrage a été salué comme une percée émancipatrice pour le cinéma du continent, une réinvention du film en tant qu’art africain. Il a remporté le prix du jury à Cannes, une première pour le continent.

Autre film majeur du réalisateur, son premier long métrage “Den Muso” (La jeune fille, 1975), gratifié à Cannes d’une projection spéciale en prélude à la cérémonie de remise de son prix.
Cette histoire poignante d’une jeune fille muette de Bamako, rejetée de tous après avoir subi un viol, est un féroce plaidoyer contre les structures patriarcales de domination. Un film choc qui valut à l’époque au réalisateur un séjour en prison et fut interdit dans son pays d’origine.
S’adressant au public après la projection, Souleymane Cissé a expliqué qu’il avait choisi d’ôter la parole à sa protagoniste pour symboliser le fait que dans la société les femmes sont réduites au silence.

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