Le roman arabe est en deuil. Il vient de perdre l’un des plus grands narrateurs syriens, Hanna Mina, dont tous les écrits ont été forgés au fer du réalisme.

24-08-2018 06:59 PM


Le roman arabe est en deuil. Il vient de perdre l’un des plus grands narrateurs syriens, Hanna Mina, dont tous les écrits ont été forgés au fer du réalisme.

Dans son testament, Mina a demandé à ses proches de distribuer une partie de ses biens aux pauvres et a promis son domicile à Lattaquié à sa femme Mariam, en disant qu’elle ne peut le vendre qu’une seule fois et si elle retourne dans la pauvreté.

Hanna Mina est né en 1924 à Lattaquié mais s’est ensuite installé avec sa famille dans la campagne syrienne. Il quitte l’école après avoir obtenu le diplôme de l’école primaire pour faire des petits boulots. Il devient ainsi manœuvre dans un port, où il s’engage, à 12 ans, dans la lutte contre le protectorat français. Son long parcours contre l’oppression et l’injustice a toujours été en profond rapport avec l’écriture. Il rédigeait les lettres des habitants de son quartier, surtout des doléances, et les soutenait dans leurs démarches face au gouvernement. Très vite, il paie de la prison son engagement.

En 1942, il commence à écrire des nouvelles qu’il publie dans des journaux et en 1947, travaille dans le journalisme à Damas, puis fait plusieurs métiers : marin, réparateur de bicyclette, employé dans une pharmacie, barbier, écrivain de scénarios pour séries télévisées, employé dans l’administration. Les hasards de la vie le mènent jusqu’en Chine, où il vit dix années pendant lesquelles il arrête d’écrire.

Après l’indépendance de la Syrie en 1947, il s’est installé à Damas, a travaillé au journal « al-Inchaa’ » jusqu’à devenir son rédacteur en chef. Sa vie littéraire a démarré avec une pièce -type Don Quichotte- qui malheureusement a été perdue de sa bibliothèque. Il a alors renoncé à écrire pour le théâtre.

Ecrivain à la production prolixe, il a écrit plus de 24 romans. Son premier roman s’intitule « Al-Massabih al-zorq » (Les Lanternes bleues). Plusieurs de ses romans sont traduits en français, dont « Al-Chams fi yom gheim » (Soleil en instance, traduction Abdellatif Laâbi, Paris : Unesco/Editions Silex, 1986).

Il s’agit d’une autobiographie où un adolescent de dix-huit ans entre dans l’âge d’homme dans la Syrie sous Mandat français des années quarante. Il est en quête d’amour et de liberté. L’art et surtout la musique l’attirent comme un aimant. Il prendra ses distances avec sa famille de notables aliénés et bien-pensants qui tirent leur prospérité de la situation coloniale et défendent avec acharnement un statu quo. Il ira chercher sa vérité dans les bas-quartiers de la ville, là où le tailleur lui apprendra la danse du poignard, l’initiera à la longue marche des réveilleurs de la terre, là où il découvrira la passion amoureuse auprès de la femme à la tunique lilas. Cette quête superbe est plongée dans une atmosphère de légende, de splendeur rêvée et vécue à la fois. Hanna Mina la raconte sur un mode poétique et espiègle, d’une fraîcheur inouïe. Malgré le passage au français, on a le sentiment d’être devant une œuvre recréée par un traducteur qui est avant tout écrivain et poète lui-même.

Aussi a-t-il dit : “Même si la construction de l’avenir et son achèvement ne sont pas de notre ressort, ce que nous devons accomplir à l’heure actuelle, c’est d’autant plus évident: une critique implacable de toutes les conditions existantes, sans relâche sans peur de ses conclusions et aussi peu de peur du conflit avec les pouvoirs en place”.

“Soleil en instance” peut être un roman politique, mais il est vu à travers les yeux d’un novice et d’un néophyte politiques. Le parcours du jeune homme vers le côté de la justice commence simplement par son intérêt sincère pour la musique. Il ne se préoccupe pas de l’économie, de la redistribution de la richesse, des principes marxistes-léninistes. Par instinct de vie, il réagit contre la corruption et le vide mortel de son milieu social. Il rejette l’environnement des amateurs de casino, des danseurs de tango, des mariages de complaisance, des visages ennuyés de ceux qui ne vivent que pour défendre un concept moribond de la tradition. Parce que l’histoire est racontée de cette manière par ce jeune narrateur qui lutte et réussit à surmonter son appartenance à une classe, le roman est terriblement optimiste. Et parce que la graine de son réveil est la graine de la musique, de la poésie, de la passion et de l’amour pour la femme « souterraine », on peut lire “Soleil en instance” comme une tentative de réconcilier les principes révolutionnaires et la satisfaction.

D’autre part, son livre “La voile et la tempête” c’est l’histoire de la Syrie durant la 2ème guerre mondiale, Hanna Mina a pu décrire d’une manière spéciale les dégâts de la guerre sur un pays colonisé par les Français… des contradictions dominant cette société tant hétérogène.. Mais avant tout, c’est l’histoire des marins… des hommes, de leur victoire face à la nature grâce à leur grande volonté.

Mina a écrit à propos de la souffrance quotidienne des hommes, décrivant la vie tumultueuse des habitants de la côte syrienne et leurs efforts pour mettre de la nourriture sur leurs tables. Sur ses romans, huit concernent la mer, qu’il adorait pendant ses années de navigation. Il a dit à cet égard : “La mer a toujours été la source de mon inspiration, à tel point qu’une grande partie de mon travail a été littéralement trempée par ses vagues tumultueuses.”

Il a dépeint les complexités de la vie individuelle, montrant comment les actes quotidiens peuvent être transformés en actes héroïques dans le subconscient et utilisés pour améliorer la perception de la vie. Il a montré un talent supérieur à représenter des personnages, à tisser des événements complexes par des techniques narratives et à pénétrer la profondeur des êtres humains.

Bien que Mina n’ait reçu aucune éducation formelle, il est devenu très apprécié dans les milieux littéraires arabes en tant que “maître du roman arabe”. En 1985, il a écrit « Kayf Hamalt Al Qalam » (Comment ai-je porté le stylo?).

Parmi ses meilleurs ouvrages publiés, on peut citer « Al Thalj Ya’ti Min Al Nafiza » (La neige vient de la fenêtre, 1969), « Al Shira’ Wa Al Assifa » (Le mât et la tempête, 1977) et « Arrabi’ wa Al Kharif » (printemps et été). Automne 1984).

Dans les années 1990, la productivité de Mina a triplé. Il a commencé à produire un roman par an et tous sont devenus des best-sellers en Syrie.

En 1990, il écrit « Fawq Al Jabal wa Tahet Al Thalj » (Sur la montagne et sous la neige). En 1996, Mina a écrit « Al Mar’a Zat Al Thawb Al Aswad » (La femme à la robe noire). Et en 1998, il a publié son chef-d’œuvre, « Al Rajul Allazi Yakrah Nafssahu » (L’homme qui se déteste).

Mina a atteint une renommée panarabe lorsque, en 1994, son roman « Nihayat Rajul Chujaa » (La fin d’un homme courageux) a été adapté dans une série télévisée mettant en vedette l’acteur syrien Ayman Zeidan. Le travail est devenu un succès du jour au lendemain et a été régulièrement diffusé sur la télévision par satellite arabe.

Son univers romanesque est marqué par sa fine connaissance de la mer et se caractérise par le nombre et la richesse de ses personnages, ainsi que par l’imbrication habile des thèmes politiques et des intrigues littéraires. Romancier engagé jusqu’au bout de ses écrits chargés d’humanisme, Hanna Mina a reçu le Prix des écrivains arabes en 2005 pour ses œuvres collectives.

Actif de son vivant, il a participé à la fondation de l’Association des écrivains syriens et l’Union des écrivains arabes.

Lauréat de plusieurs prix de littérature arabe, dont le prestigieux prix Naguib-Mahfouz décerné en Egypte, un prix de littérature à son nom est décerné chaque année par le ministère de la Culture syrien.

Repose en paix ô grand Mina. Ton humanisme qui ruisselle à travers la compilation de toute ton œuvre restera gravé sur terre. Une bouteille à la mer pour tous ceux qui perdent la boussole par les temps de « chaos » qui imprègnent l’espace arabe, Syrie en tête.

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