La Palme d’or à la Française Justine Triet

08-06-2023 02:02 PM


Avec la Palme d’or pour “Anatomie d’une chute”, Justine Triet est devenue la troisième réalisatrice à remporter le prestigieux prix, après Jane Campion « La Leçon de piano », 1993 et Julia Ducournau « Titane », 2021. Avec ce film, la France compte à présent dix Palmes D’Or depuis 1946 ! La réalisatrice française a reçu la Palme d’or des mains de l’actrice américaine Jane Fonda, samedi 27 mai, au Grand Théâtre des Lumières à Cannes lors de la cérémonie de clôture.

Les trois grands favoris des festivaliers ont été primés à leur juste valeur à la cérémonie de clôture du 76e Festival de Cannes. « Anatomie d’une chute », formidable drame judiciaire de Justine Triet, repart avec la prestigieuse Palme d’or ; le Grand Prix, au deuxième rang du tableau d’honneur, a été remis au glaçant « The Zone of Interest », de Jonathan Glazer, et « Les feuilles mortes », d’Aki Kaurismäki, probablement le film le plus attachant de la sélection, a obtenu le prix du jury.

Lors d’une conférence de presse tenue après la cérémonie, le président Ruben Östlund, lui-même lauréat de la Palme l’an dernier grâce à « Triangle of Sadness », n’a pas voulu expliquer vraiment comment les décisions furent prises. « Nous avons eu beaucoup de discussions et tout le monde s’est entendu pour reconnaître que la sélection était très forte », s’est-il contenté de dire. « Tous ces films avaient le souci d’entraîner le spectateur avec eux. C’est exactement ce que le cinéma doit être. Et j’espère qu’ils auront tous droit à de belles carrières. »

« Anatomie d’une chute » qui a remporté la Palme d’or est un “grand film procès” qui décortique méticuleusement les rapports de force et de domination au sein d’un couple d’artistes aisés racontant l’histoire de Sandra, interprétée par l’Allemande Sandra Hüller, accusée du meurtre de son mari. En l’absence de témoin, si ce n’est leur fils, un enfant malvoyant, la justice va disséquer la vie du couple dont les disputes étaient enregistrées par le mari. Et révéler tous les rapports de pouvoir, névroses et failles cachées. Au-delà de la reconstitution du drame, pour savoir s’il s’agit d’un meurtre ou d’un suicide, le film expose une multitude de rapports de force : le jeu entre les langues, l’allemand maternel du personnage principal, l’anglais pour communiquer et le français parlé au procès, la séduction au sein du couple, la rivalité entre les partenaires quand l’un a plus de succès que l’autre…
Justine Triet a construit ce film comme “un puzzle”, dans lequel le spectateur est projeté dès la première scène et dont il ne comprend que tardivement le sens. Ce film, c’est comme rentrer dans le cerveau de cette femme, essayer de comprendre qui elle est comme femme, comme mère, comme artiste. Les scènes de procès sont centrales, portées par l’affrontement entre l’avocat général, joué par Antoine Reinartz, et l’avocat de l’accusée (Swann Arlaud).

La réalisatrice, qui avait d’abord pensé ce projet comme une série, a réalisé son long-métrage “le plus intime”, selon elle. Emue et surprise, celle qui pensait ne rien obtenir à Cannes a terminé son discours de remerciements sur une diatribe politique. “Cette année a été traversée par une contestation historique, extrêmement puissante et unanime de la réforme des retraites. Cette contestation a été niée et réprimée de façon choquante”, a-t-elle déclaré, dénonçant “un pouvoir dominateur de plus en plus décomplexé”. Elle a également tenu à défendre l’exception culturelle française, “sans qui elle ne serait pas là”, et qui est en danger, selon elle, en raison de “la marchandisation de la culture que le gouvernement néolibéral défend”.

Le Grand Prix est revenu au cinéaste britannique Jonathan Glazer pour son film “The Zone of Interest” qui suit l’histoire de Rudolf Höss, un commandant du camp d’Auschwitz-Birkenau, et de sa famille, habitant tout près de ce lieu d’extermination. Le prix a été remis par les réalisateurs Roger Corman et Quentin Tarantino, longuement applaudis. « The Zone of Interest » était le film le plus radical de la compétition : en laissant le camp de la mort hors champ, il dénonce la capacité des êtres humains à continuer de vivre nonchalamment tout en côtoyant l’horreur.

Le Prix du jury a été remis au réalisateur finlandais Aki Kaurismäki, pour son film “Les Feuilles mortes”. Absent de la cérémonie, le cinéaste avait déjà reçu le Grand Prix pour « L’Homme sans passé » en 2002. Son film raconte l’histoire d’amour entre Ansa (Alma Pöysti), caissière, et Holappa (Jussi Vatanen), métallurgiste, qui se rencontrent une nuit à Helsinki, tous deux en quête d’amour. Elle lui donne son numéro de téléphone, mais il le perd, sans rien savoir d’elle, mais amoureux.

C’est le réalisateur franco-vietnamien Tran Anh Hùng qui a reçu le Prix de la mise en scène pour “La Passion de Dodin Bouffant”. Le long-métrage, qui adapte le roman de Marcel Rouff « La Vie et la passion » de Dodin-Bouffant (Editions du Serpent à plumes), se plonge dans la gastronomie française du XIXe siècle avec le duo français Benoît Magimel et Juliette Binoche. Le cinéaste avait déjà abordé la cuisine dans « L’Odeur de la papaye verte », qui avait remporté à Cannes la Caméra d’or et le Prix de la jeunesse à Un certain regard en 1993.

Des mains de l’acteur américain John C. Reilly, qui a réalisé un petit numéro muet pour illustrer ce que peut être un “film sans scénario”, Sakomoto Yugi a reçu le prix du meilleur scénario pour “Monster”, du Japonais Hirokazu Kore-Eda. Le long-métrage avait déjà reçu la Queer Palm, prix alternatif qui récompense les films abordant des thématiques LGBT et féministes. Evoquant tour à tour la famille, le poids des institutions et la relation d’amitié ambiguë entre deux jeunes élèves, le cinéaste a mis en images ce qu’il ressentait lui-même vis-à-vis de ses enfants. “En tant que père, j’observe qu’il y a un moment où l’enfant dépasse ce que l’on avait imaginé pour lui. Il nous échappe et ce n’est pas forcément négatif. C’est ce qui lui permet de quitter le nid et de devenir adulte”, a-t-il expliqué.

Le Prix d’interprétation masculine a été remporté par Koji Yakusho, l’acteur du film de Wim Wenders, “Perfect Days”. “Je veux particulièrement remercier Wim Wenders et son coscénariste. Vous avez créé un personnage magnifique”, a-t-il dit, ému, sur scène. Dans ce film du réalisateur de Paris, Texas (Palme d’or en 1984), il incarne Hirayama, un salarié des toilettes publiques de Tokyo, taiseux et solitaire, qui va peu à peu s’ouvrir aux autres.

L’actrice turque Merve Dizdar a reçu le Prix d’interprétation féminine pour son rôle dans “Les herbes sèches” de Nuri Bilge-Ceylan. “J’aimerais dédier ce “prix à toutes les femmes qui mènent une lutte pour surmonter les difficultés à exister dans ce monde et garder l’espoir”, a déclaré l’actrice, qui interprète une femme qui s’éprend d’un enseignant dans une province reculée de Turquie. Elle est la première actrice turque à être sacrée.

Le Prix de la Caméra d’or est revenu à “L’Arbre aux papillons d’or”, du réalisateur vietnamien Pham Thien An, 34 ans, qui avait fait forte impression lors de sa projection.

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