Éric Vuillard, un Goncourt 2017 qui rafraîchit la mémoire collective

11-11-2017 04:15 PM


Éric Vuillard, un Goncourt 2017 qui rafraîchit la mémoire collective

En couronnant “l’Ordre du jour”, qui raconte l’annexion de l’Autriche par Hitler, le prix Goncourt a choisi un lauréat discret, inattendu, mais excellent.
Le petit Eric Vuillard n’a que quelques jours quand sa mère le porte sur le balcon pour lui montrer son père sur les barricades. C’était à Lyon en mai 1968 (il est né le 4 mai). Une scène originelle qui a sans doute forgé sa conscience politique et nourri son goût pour les scènes de foules révolutionnaires, très présentes dans «14 juillet» (2016). Un récit qui raconte la prise de la Bastille, et rend leurs noms aux inconnus qui participèrent à l’événement.
Malgré l’indéfectible soutien de Patrick Rambaud au sein de l’Académie Goncourt, Eric Vuillard cumulait les handicaps cette année: «l’Ordre du jour», où il raconte l’annexion de l’Autriche par Hitler en 1938, est sorti en mai; le livre, qui restitue des faits réels, n’est pas exactement un roman; et des librairies se seraient même inquiétés de voir récompensé un livre qui ne coûte «que» 16 euros.
Parmi les lectures qui l’ont marqué, l’écrivain aime citer «Histoire de la colonne infâme», de l’Italien Alessandro Manzoni. Publié en 1827, ce livre relate l’épidémie de peste qui ravagea Milan en 1630 et le procès fait à quelques citoyens soupçonnés d’avoir propagé la maladie. Le texte mêle récit et discours critique, exactement comme ceux de Vuillard.
Comme Rimbaud, le jeune Vuillard s’en est allé, les poings dans ses «poches crevées». Se sentant à l’étroit à l’école (qu’il a fréquentée de façon irrégulière), il a préféré parcourir les routes de France et d’Espagne. Il a alors 17 ans, mais il est très sérieux puisqu’en chemin, il lit les œuvres complètes de François Villon et compose lui-même quelques vers.
Longtemps, Vuillard a écrit loin des projecteurs: après deux coups d’essais discrets, «le Chasseur» (1999) et «Bois vert» (2002), il se lance dans une volumineuse épopée: celle de Pizarre avec «Conquistadors» (2009). Le pavé n’a pas un grand succès. Il trouve enfin sa formule avec «la Bataille d’Occident» (2012), qui raconte la journée la plus meurtrière de la Première Guerre mondiale (22 août 1914, 27.000 morts, tout de même): des récits brefs, sans fiction, qui révèlent un remarquable sens du montage et du détail.
On décèle chez ce Rennais d’adoption une lecture marxiste de l’Histoire, corrosive pour ceux qui accumulent richesses et pouvoir. «L’Ordre du jou » s’ouvre sur le moment où les plus puissants industriels allemands, dont les sociétés existent encore aujourd’hui, ont pactisé avec Hitler. Et «Congo» (2012) reconstitue, par le menu, la conférence de Berlin de 1884, où d’élégants diplomates européens se partagèrent l’Afrique comme un gâteau.
Dans «Tristesse de la terre» (2014), l’auteur déconstruit le mythe du Wild West Show et la légende dorée des pionniers, rappelant que l’Amérique est née sur le génocide des Indiens. Cet anti-western qui prend pour cible Buffalo Bill, cowboy de pacotille, éreinte la société du spectacle. Il y avait quelque chose d’ironique à écouter Vuillard en parler sur le plateau de Laurent Ruquier, face à Kev Adams…
Deux ans après avoir, en 2006, réalisé un court-métrage de 10 minutes, «l’Homme qui marche», ce fan de Dreyer récidive en adaptant une nouvelle de Prosper Mérimée: c’est «Mateo Falcone», qu’il arrache au folklore corse en tournant sur un plateau des Cosses. Un film muet, économique, hyper stylisé, qui n’est sorti qu’en 2014.
Sur Twitter, la ministre de la Culture a félicité le lauréat du Goncourt «avec une émotion particulière», avant de passer l’embrasser chez Drouant: Eric Vuillard est publié chez Actes Sud, la maison que dirigeait Françoise Nyssen jusqu’au printemps dernier. Ce détail risquait d’attirer sur le jury des accusations d’opportunisme, il a bien fait de s’en moquer.
L’écrivain vient de publier dans la revue «America» un texte sur John Jacob Astor, premier millionnaire des Etats-Unis, qui a bâti sa fortune sur des mensonges et des vies ruinées. «On ne passe pas de riche à billionaire sans commettre une sorte de crime», écrit Vuillard. Un sujet qu’il avait déjà abordé dans les «Cahiers d’études lévinassiennes» en 2015, avec cette mention: «Ce texte est extrait d’un récit en cours.»
A noter que le prix Goncourt est doté d’un chèque de dix euros, mais l’enjeu est autrement plus important. Un roman primé s’écoule, selon les cas, de 200 000 à 500 000 exemplaires.
Le prix Renaudot a pour sa part été attribué à Olivier Guez pour “La disparition de Josef Mengele”. Ce livre retrace la fuite en Amérique du Sud du “médecin” nazi d’Auschwitz après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Jamais jugé pour ses crimes, Josef Mengele a semé la justice internationale pendant plus de trois ans, avant de mourir noyé en 1979.

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