Manuel Valls gomme la “référence à la binationalité”

28-01-2016 01:05 PM


Manuel Valls a finalement opté pour une formule plus consensuelle. Mercredi 27 janvier, le Premier ministre français a présenté une nouvelle version de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle qui ne comporte plus de référence aux binationaux dans l’article consacré à la déchéance de nationalité.
“Aucune référence à la binationalité ne figurera dans le texte constitutionnel, ni a priori dans la loi ordinaire” a déclaré le chef du gouvernement, soucieux de ne pas “stigmatiser les binationaux”.
Il a ajouté qu’il n’était pas question de créer des apatrides. “Seuls les principes prévus par la convention internationale de 1954 et la loi du 16 mars 1998 qui proscrivent la création de nouveaux apatrides devront continuer à figurer dans notre droit positif”, a-t-il précisé.
Souci du rassemblement
Initialement, le texte du gouvernement prévoyait que “la loi fixe les règles concernant la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la nation”.
Mais face au scepticisme de la gauche, le Premier ministre a proposé cette nouvelle formule devant la commission des lois de l’Assemblée : “La loi fixe les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit qui constitue une atteinte grave à la vie de la nation.”
En clair, tous les Français condamnés pour terrorisme, y compris ceux ne possédant que la nationalité française, pourront être déchus de certains de leurs droits civiques (droit de vote, éligibilité, emploi dans la fonction publique…). Dans le droit français, l’auteur d’un crime ou d’un délit peut déjà être déchu de ces droits (en raison de ce qui est appelé “l’indignité civique”). Avant 1994 et l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, cette déchéance était même systématique à toute condamnation en pénal, elle est maintenant une peine complémentaire prononcée par le juge. Mais ce principe n’était jusqu’à présent pas gravé dans le marbre de la Constitution.
Le Premier ministre se défend pourtant de tout “enfumage”. Il a justifié cette nouvelle formulation par le “souci d’avancer et d’aboutir à un rassemblement le plus large possible ou d’éventuellement lever des ambiguïtés.”
Mesure pour les “délits les plus graves”
Le Premier ministre a en outre annoncé que la déchéance de nationalité pourrait concerner les crimes, mais “sans doute aussi les délits les plus graves” (association de malfaiteurs à caractère terroriste, financement direct du terrorisme ou entreprise terroriste individuelle, par exemple). Le champ sera “strictement limité au terrorisme et aux formes graves d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation”, a-t-il précisé.
Selon le député Pouria Amirshahi, l’un des “frondeurs” les plus virulents au sein du PS, le gouvernement signe là un “compromis avec la droite la plus dure” dans la mesure où la déchéance, élargie aux délits, ne concerne plus les seuls crimes. L’opposition, dont le soutien est nécessaire pour faire adopter la révision constitutionnelle à la majorité des trois cinquièmes requise au Congrès, s’est montrée prudente. “Ça ne concernera finalement que les binationaux”, a jugé le député le député Les Républicains (LR) Philippe Houillon lors du débat qui a suivi.
Reste un point à trancher, celui de savoir si la déchéance sera une “décision administrative” ou une “peine complémentaire prononcée par le juge pénal”, a souligné Manuel Valls. Le projet de réforme constitutionnelle, qui prévoit aussi d’inscrire l’état d’urgence dans la loi fondamentale, sera débattu dans l’hémicycle à partir du 5 février, avant un vote solennel le 10 février.
Le Conseil d’État a d’autre part annoncé mercredi dernier qu’il refusait de suspendre l’état d’urgence, instauré après les attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis, comme le lui demandait la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Le juge des référés estime que “le péril imminent justifiant l’état d’urgence n’a pas disparu compte tenu du maintien de la menace terroriste et du risque d’attentats”.
“Des attentats se sont répétés depuis cette date à l’étranger et plusieurs tentatives d’attentat visant la France ont été déjouées”, souligne dans un communiqué la plus haute instance administrative. “La France est en outre engagée dans des opérations militaires extérieures de grande envergure qui visent à frapper les bases à partir desquelles les opérations terroristes sont préparées, organisées et financées”, peut-on lire également. Et de conclure : “l’état d’urgence ne porte pas d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale”.
Sécurité et renseignement
 
Par ailleurs, Jean-Jacques Urvoas a été nommé pour remplacer Christiane Taubira au ministère de la Justice. Cette promotion fait les affaires de Manuel Valls, dont il est l’un des fidèles.
Pour le grand public, Jean-Jacques Urvoas est avant tout le rapporteur de la loi sur le renseignement, qualifiée de “Patriot Act” à la française, en référence à la loi antiterroriste adoptée par les États-Unis après les attentats du 11 septembre. Sa réputation de spécialiste des questions de sécurité et de défense est bien établie au Parti socialiste depuis que Martine Aubry, alors secrétaire générale du parti, en a fait le spécialiste maison de cette problématique en 2009.
À l’Assemblée nationale, il est le chef de la délégation parlementaire sur le renseignement, participe à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), l’autorité de contrôle des activités de surveillance. C’est donc tout logiquement que Manuel Valls, qui se présente comme le champion d’une gauche “décomplexée” en matière sécuritaire, a fait de Jean-Jacques Urvoas l’un de ses proches conseillers. Les deux hommes collaborent depuis 2011. Jean-Jacques Urvoas est aussi professeur de droit et son action à la commission des lois de l’Assemblée lui a valu des louanges aussi bien à droite qu’à la gauche de la gauche. Il partage, en outre, avec Christiane Taubira un fort intérêt pour la réforme pénitentiaire.
Sa nomination répond également à une autre urgence pour François Hollande : réconcilier le gouvernement avec l’Assemblée nationale où les députés de gauche ont de plus en plus de mal avec la ligne Valls-Macron.
Sur tous les grands dossiers controversés de ces derniers mois, Jean-Jacques Urvoas a assuré le service après-vente du gouvernement. Loi sur le renseignement, sur la prolongation de l’État d’urgence et, finalement, sur la déchéance de nationalité : Jean-Jacques Urvoas est en première ligne sur tous ces dossiers.
À chaque fois, le député du Finistère réussit à faire accepter les textes en minimisant les dégâts politiques pour l’Élysée. Mieux : son exercice d’équilibriste politique lui vaut un respect de tous ou presque au Parlement. Avec Jean-Jacques Urvoas, le duo Hollande-Valls s’est donc offert les services d’un fidèle qui sait ménager et amadouer les parlementaires. Qui dit mieux ?

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