L’Esquive entre amour et hasard

15-12-2011 10:12 AM


Avec ” L##Esquive “, le réalisateur franco-tunisien Abdellatif Kechiche réussit haut la main l##épreuve du second long métrage après ” Une Faute à Voltaire ” remarqué à sa sortie. Le cinéaste est allé filmer dans une cité de la banlieue parisienne un groupe de jeunes adolescents s##initiant à l##amour sous les auspices de Marivaux. Un film inattendu qui bouscule les idées reçues et révèle de merveilleux comédiens. Le 17 septembre, à 20h, au CFCC, Héliopolis.

L’Esquive est un film français par Abdellatif Kechiche, sorti en 2004. Le titre provient d’une réplique d’Arlequin dans “Jeu de l’amour et du hasard” de Marivaux, à l’acte II, scène 5.
L’Esquive traite d’un groupe d’adolescents dont Abdelkrim, dit Krimo qui tombe amoureux de Lydia. Pour tenter de séduire celle-ci, il obtient le rôle d’Arlequin et entame les répétitions. Son caractère timide et maladroit s’avère être un frein à sa participation à la pièce ainsi qu’à l’aboutissement de ses projets avec Lydia, jouée par la comédienne Sara Forestier. Le rapprochement entre Krimo et Lydia suscite ainsi de nombreuses réactions pleines d’hostilité et d’incompréhension.
La première scène de L’Esquive se déroule dans le quartier du Franc-Moisin à Saint-Denis. Le spectateur pense donc identifier dès la première scène l’intrigue à suivre.
Abdellatif Kechiche prive son spectateur du règlement de compte tant attendu pour suivre un des jeunes, Krimo, qui rentre chez lui. Cette manière de jouer avec le spectateur est au cœur même du projet du film. L’Esquive est un film de questionnements. Questionnement externe adressé au spectateur sur sa perception des banlieues mais aussi questionnement interne des codes existants dans les cités. Un jeu sur les préjugés que le spectateur retrouve bien plus tard dans la fiction avec le contrôle de police. C’est alors la force publique qui se montre incapable de traiter ses interlocuteurs en simple être humains. Impossible pour elle d’imaginer ses jeunes occupés à régler une histoire d’amour et non un ” deal “. Un simple contrôle d’une violence incroyable pour le spectateur qui entre-temps s’est familiarisé avec ses personnages aussi maladroits qu’attachants.
On comprend alors en quoi la référence à Marivaux n’a rien de gratuit. Abdellatif Kechiche a retrouvé ses propres questionnements à la fois en terme de fond et de dramaturgie dans l’œuvre du célèbre écrivain Marivaux. Avec L’Esquive il est non plus question de maîtres et d’esclaves comme dans ces “jeux de l’amour et du hasard” mais d’un homme et une femme dans une cité. L’analyse du professeur de la pièce de Marivaux rejoint parfaitement l’histoire de ces jeunes de banlieues. Les personnages n’échappent pas au conditionnement social. Un père en prison, un milieu machiste propice à la violence et à l’agressivité, difficile pour Krimo de s’épanouir dans la cité. Le film révèle les blessures que cachent chacun des personnages principaux. On découvre progressivement que Krimo et Lydia fonctionnent sur deux modes opposés qui ne parviennent pas à communiquer. Lui semble écrasé par sa tristesse. Replié sur lui-même, il peine à s’affirmer face aux autres. Ainsi, il est incapable de jouer Arlequin, personnage qui ne cesse de le renvoyer à son attirance pour Lydia. Cette dernière, au contraire, s’épanouit dans le jeu, l’attention de l’autre aussi bien en étant comédienne qu’en s’amusant à faire des surprises à ses amies. Cependant, derrière ce masque et cette constante projection dans l’autre, elle n’arrive plus à faire la part de ses propres sentiments les plus profonds. Pour les deux comme pour d’autres, la faille, c’est l’intime. Difficile de se donner pleinement à l’autre.
Filmé en numérique, L’Esquive propose une mise en scène assez inhabituelle. Le film est très découpé, la caméra mobile au plus près des visages des personnages pour capter toute l’énergie que dégagent les personnages et la construction de scènes dans la durée. Pour conclure, il est peu de dire que les comédiens sont tous formidables.
Il est à savoir que l’Esquive de Abdellatif Kehiche lui a valu le César du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur scénario.
Cataloguées dans le jeune “cinéma d’auteur”, les œuvres d’Abdellatif Kehiche renseignent toujours sur la langue et les comportements codifiés par le microcosme social donné de départ. C’est le cas de L’Esquive, un film porté par une intrigue dépouillée à l’extrême, sans emphase ni spectaculaire. Un film à ne pas rater.

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