La Pentecôte, un tableau du Greco

30-06-2024 06:44 AM


Du grec pentêkostê qui signifie « cinquantième », la Pentecôte est célébrée cinquante jours après Pâques. Ce jour-là, les chrétiens font mémoire du don de l’Esprit Saint et de la naissance de l’Église. A l’occasion de cette grande fête chrétienne célébrée ce dimanche, nous proposons une description du tableau illustrant la Pentecôte du peintre, sculpteur et architecte Le Greco (1451-1614), qui fut principalement actif en Espagne. Un tableau (275 × 127 cm) réalisé entre 1597 et 1600 à Tolède ville du centre de l’Espagne et qui est exposé dans une des salles du musée du Prado, Madrid.

Le Greco y peint une Pentecôte qui rassemble l’Église de tous les temps. Le tableau invite tous ceux qui le contempleront à accueillir l’Esprit saint de tout leur être.Toute en hauteur, divisée en trois registres, cette Pentecôte monumentale constituait le couronnement d’un important retable, commandé au Greco.
Observons d’abord la composition de cette oeuvre tout en hauteur, où la perspective n’est pas marquée. Pas de paysage ; les références spatiales sont supprimées ; les personnages occupent l’ensemble de la toile. La scène est serrée dans un espace clos et la composition baigne dans une lumière spectrale qui révèle des personnages très expressifs.
En plaçant les protagonistes sur des marches d’escalier qui évoquent la chambre haute à peine suggérées, Le Greco permet de bien les individualiser tout en soulignant la verticalité du format qui conduit le regard vers la colombe immaculée, symbole de l’Esprit Saint mis en valeur par un vaste espace vide dans l’arrondi supérieur de la toile, simplement traversé de rayons. La colombe plane dans une nuée jaune citron qui repousse l’ombre des origines et irradie une lumière qui illumine toute la scène qui baigne dans un calme tranchant avec l’agitation des registres inférieurs, agitation spirituelle qui précède la grâce.
Dominé par la colombe, le tableau exalte la puissance de l’Esprit Saint venu emplir la Vierge et les disciples. Esprit Saint qui transfigure ceux qui le reçoivent, dont l’aspect change visiblement aux yeux de l’observateur extérieur. Leur vie ne sera plus jamais la même après cet événement fondateur de l’Eglise : désormais ils sont parés pour annoncer la nouvelle de la Résurrection du Christ au monde entier. Avant de monter au Ciel à l’Ascension, le Christ leur avait annoncé : « Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8).
Au centre de la composition, vêtue d’une éclatante robe rose carmin, Marie se différencie par son calme. Elle a déjà reçu l’Esprit lors de l’Annonciation et elle en connaît l’extraordinaire fécondité. Seule à joindre les mains, elle rend grâce à Dieu pour le don reçu et semble prier pour ceux qui accueillent le don divin. La position de son corps évoque une mandorle, symbole de sa gloire divine. La flamme au-dessus de sa tête semble vaciller sous le souffle de l’Esprit. Souffle qui agite aussi les vêtements des personnages qui l’entourent et leur confère des formes serpentines qui mettent en valeur un élan vertical, indice d’un élan spirituel. Le jeu des drapés évoque presque des flammes. Tout près de Marie, Marie-Madeleine et un apôtre vêtu de vert la regardent : ils font partie des rares personnes du tableau à ne pas lever les yeux vers l’Esprit-Saint. Le Greco a représenté Marie-Madeleine la tête couverte d’une mantille blanche, très espagnole.

Au registre du milieu, onze hommes entourent la Vierge. Des flammes, comme des langues de feu, vacillent au-dessus de leur tête. Il faut se rappeler que, en grec, le mot “langue” désigne à la fois l’organe et le langage. Chez Luc, quand il y a Esprit Saint, la parole surgit. Et justement les disciples reçoivent le don de parler les langues que les autres entendent. La plupart de ces hommes dirigent leurs regards vers la colombe de l’Esprit Saint. Tous réagissent différemment, entre surprise, stupeur, interrogation et reconnaissance ou louange.
Le Greco affirme ici sa propre manière, fondée sur une abstraction des formes et de l’espace pour privilégier la couleur, la lumière et, surtout, le sentiment traduit par le geste. Il faut remarquer la façon dont il traite les bras et les mains, le canon maniériste de l’élongation des corps renforcé par une contre-plongée qui donne la monumentalité. On est bien loin des canons de la beauté classique.
Au registre inférieur, deux figures sculpturales nous tournent le dos, probablement Pierre, à droite, vêtu de bleu et de jaune orangé, et Jean, à gauche, vêtu de vert et de rouge comme lors de la Crucifixion. La couleur rouge a son écho dans le rose carmin de la robe de la Vierge Marie et le bleu dans son manteau. À eux trois, ils structurent le groupe. Nous tournant le dos, Pierre et Jean sont dans la même position que le fidèle contemplant le retable, ils lui montrent la juste manière d’accueillir l’Esprit Saint. Ils s’exposent de tout leur être, comme on s’expose au soleil pour s’y réchauffer.
À droite, un homme âgé nous regarde, nous faisant entrer dans le tableau. Ce pourrait être l’artiste lui-même. Si on compte les personnages masculins, il y en a treize et non douze. De ce personnage supplémentaire, à droite, on ne voit que la tête. Il semble fixer le spectateur. On considère souvent que Le Greco s’est peint parmi les disciples, comme pour nous faire entrer dans la scène, afin de nous faire méditer sur la Pentecôte. Ce personnage nous fait comprendre que si les apôtres ont reçu les dons de l’Esprit Saint au cénacle, cinquante jours après Pâques, tous les chrétiens en bénéficient par le sacrement de confirmation.
Le Greco ne se limite pas au groupe des douze apôtres. Il peint une Pentecôte ouverte aux hommes de son temps, à l’Église de tous les temps et à tous ceux qui contempleront son œuvre, les invitant à accueillir l’Esprit du Seigneur de tout leur être.

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