Adieu Dame de la Poterie du Fayoum

14-06-2021 09:03 AM


Après des décennies de travail acharné, Evelyne Porret, la célèbre artiste potière de Tunis Village, Fayoum, est décédée la semaine dernière à l’âge de 85 ans. La plasticienne suisse avait transformé, en s’inspirant du modèle d’un petit village de Gênes, un petit village du Fayoum, en une destination artistique et touristique.

L’artiste Evelyne Porret, est décédée dans le village de Tunis, du gouvernorat du Fayoum, où elle s’est installée il y a plus de 50 ans et a fondé la première école d’enseignement et de fabrication de céramique et de poterie de la région, contribuant à transformer le village en un centre régional de fabrication et d’exportation de céramique et de poterie.

Porret est considérée comme l’une des premières femmes pionnières dans les projets privés en Haute-Égypte. Elle a pu maintenir la continuité du village en aidant ses élèves à créer leurs propres écoles et ateliers, jusqu’à ce que le village devienne aujourd’hui un centre d’art et de céramique en Égypte.
Diplômée des arts décoratifs de Genève, la céramiste suisse Evelyne Porret a réussi à transformer un village agricole égyptien en un haut lieu de la poterie.
Son père, homme reconnu et respecté, est pasteur protestant au Caire, sa mère, femme au foyer. En 1960, Evelyne à 20 ans décide de rejoindre ses parents et se rend en Égypte
Non seulement parce qu’elle souhaite être auprès d’eux, mais aussi parce qu’elle aspire à changer d’air. La jeune fille apprend donc l’égyptien et collabore avec de nombreux artistes du pays autour de la poterie.
En 1989, Evelyne quitte la capitale égyptienne pour s’installer dans dans le Fayoum endroit plus paisible et beau.
A Tounès (Tunis), petit village situé à deux heures trente de route du Caire, la vie gravite autour des enfants. Après la classe, les petits sont nombreux à aider leurs parents dans les champs. Fayoum est une oasis qui puise ses ressources dans la culture de la figue, du raisin et des olives.
L’ancienne élève de Philippe Lambercy à l’école des Arts Décoratifs de Genève – un des pionniers de la recherche céramique en Suisse – éprouve l’envie de faire découvrir la poterie à ses nouveaux voisins. Mais les parents ne voient pas l’initiative d’un bon œil. Leurs enfants, pensent-ils, vont délaisser les travaux des champs.
La fille du pasteur propose alors de rétribuer les parents qui laisseraient leurs enfants mettre la main à l’argile. L’expérience est un succès. Des bambins de cinq ans, de dix ans, mais aussi des adolescents, filles et garçons confondus, découvrent les joies de pétrir la terre. Pour eux, c’est un jeu. Ils réalisent des poissons, des ânes, des palmiers…
Les touristes qui viennent admirer le fameux lac Qaroun du Fayoum apprennent aussi à connaître cette école improvisée. Les œuvres des potiers en herbe séduisent. L’art naïf de l’école du Fayoum est né.
À cette région pauvre de l’Egypte, Evelyne Porret apporte un nouveau souffle. Les œuvres s’écoulent comme des petits pains; les enfants reçoivent 10% pour chaque pièce vendue. Le reste sert à autofinancer ce qui est appelé à devenir une école à part entière. Evelyne poste des annonces à l’intention de potiers suisses et français. Objectif: obtenir des renforts pour poursuivre l’aventure.
Marina, Française , en avait assez de fabriquer des bols à Lyon. Comme d’autres avant elle, elle répond à l’appel d’Evelyne Porret. «Les gens ici ont une vie simple. Ils n’ont pas l’esprit pollué. Ils nourrissent leur créativité de ce qui les entoure, raconte la jeune femme. Ils apprenent la technique et eux laissent libre cours à leur créativité. Ils s’inspirent de choses qui les entourent. C’est en cela que l’art du Fayoum est si identifiable».
Depuis, les enfants de Tounès ont bien grandi; certains ont délaissé les travaux des champs pour ouvrir leur propre boutique dans le village. Ils ont eux-mêmes eu des enfants et les ont envoyés chez Evelyne D’autres ont fondé leur propre école ailleurs, comme à Louxor.

Dans le village, les boutiques fleurissent. Le lieu est devenu une véritable promenade de week-end pour les habitants du Caire qui repartent souvent les bras chargés d’assiettes, de bols et de décorations en tout genre.
Cette initiative simple a contribué à diversifier l’économie de la région. La démarche quasi instinctive de cette femme a donné naissance à une activité qui n’existait pas dans cette région.
Evelyne Porret reçoit dans sa maison qui jouxte l’école et surplombe le lac ses élèves qui ont pris le relais. Ils voyagent en Suisse et en France pour montrer leurs œuvres . Ils ont exposé fièrement à la Galerie Marianne Brand à Carouge et aussi à Paris, à l’Institut du monde arabe.
Ça leur ouvre l’esprit, à ces enfants, de voir des gens de l’extérieur. Beaucoup de ces enfants ne savent ni lire ni écrire. La Suissesse s’enorgueillit surtout d’avoir transmis aux petites filles une certaine autonomie. Elles savent fabriquer un four, elles ont un métier entre les mains, elles ne dépendent de personne.
Lors de l’un de ses passages à Genève, Evelyne a fait la connaissance de Michel Pastore, architecte d’intérieur et spécialiste en tapisserie. Ils se sont mariés et l’homme, diplômé des Arts et Métiers de Vevey, est venu s’installer à Tounès avec son épouse.
Grâce à l’idée de Porret, le village de Tounès est devenu la capitale de l’artisanat, et son école est devenue une attraction touristique ouverte toute l’année, et un lieu de rencontre annuel pour les potiers et les artisans.

Son oeuvre est sans doute une inspiration du dieu Khnoum-Rê, le dieu du tour de potier, qui a fondé la terre par l’action de ses bras, le dieu qui unit les corps dans le sein maternel, le constructeur qui fait prospérer les deux oisillons et qui fait vivre les êtres encore enfants grâce au souffle de sa bouche. .
Evelyne a continué à enseigner aux élèves de son école et à la gérer jusqu’à ses derniers moments dans ce monde.

Après l’annonce de sa mort, diverses personnes ont publié des hommages à la Dame de la Poterie du Fayoum.

Evelyne a été enterrée mais elle restera une extension de la civilisation, de l’amour et de l’art qu’elle a édifiés dans le village de Tunis.

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