La Française Maryse Condé reçoit le prix Nobel de littérature alternatif

04-11-2018 03:35 PM


Maryse Condé a reçu le prix Nobel de littérature alternatif le 12 octobre. Ce nouveau prix, fruit d’un long processus populaire, a été institué cette année seulement par la « Nouvelle académie ». Maryse Condé a été désignée parmi une liste établie par quarante-sept bibliothécaires suédois – ensuite ramenée à quatre noms par un vote populaire (33 000 contributions, selon les organisateurs) – et comprenant, outre l’écrivaine française, le Britannique Neil Gaiman, la Québécoise Kim Thúy et le Japonais Haruki Murakami.

Quatre jurés – une éditrice, une professeure de littérature, un critique littéraire et la directrice d’une bibliothèque, tous Suédois – ont ensuite été chargés de désigner le lauréat final.

Le Prix de la Nouvelle Académie a été attribué à la romancière et universitaire française Maryse Condé, 81 ans. Originaire de Guadeloupe, elle est l’une des plus importantes auteures francophones, dont les romans, récits ou essais ont eu une influence significative dans les Caraïbes et en Afrique. Son œuvre « décrit avec précision les ravages du colonialisme et le chaos post-colonial, dans une langue qui mêle également la magie, le rêve, la terreur et l’amour », a souligné La Nouvelle Académie dans un communiqué.

Le prix – qu’accompagne un versement de 1 million de couronnes (environ 97.000 euros), soit un peu plus du dixième du chèque perçu par les lauréats d’un Nobel – est doté par le financement participatif et le mécénat.

Il sera remis le 9 décembre, en présence de la lauréate, la veille du banquet des Nobel, traditionnellement dressé à l’hôtel de ville de Stockholm en l’honneur des lauréats de l’année – physique, chimie, médecine, littérature, économie. Le Nobel de la paix est décerné, lui, à Oslo, la capitale norvégienne.

A noter que c’est grâce au roman « Moi, Tituba sorcière… Noire de Salem » (1986) que Maryse Condé reçoit en 1987 son premier prix littéraire : le Grand Prix littéraire de la Femme. Puis elle reçoit en 1993 le prix Puterbaugh, décerné aux États-Unis à un écrivain de langue française pour l’ensemble de son œuvre et dont elle est la première femme à en être honorée. En 1995, elle publie « La Migration des cœurs”, réécriture caribéenne des « Hauts de Hurlevent” d’Emily Brontë, classique de la littérature britannique qu’elle a lu à 14 ans après en avoir reçu un exemplaire comme récompense scolaire pour ses qualités d’écriture. Le prix Marguerite-Yourcenar est décerné à l’écrivaine en 1999 pour « Le Cœur à rire et à pleurer », écrit autobiographique qui fait le récit de son enfance.

Après de nombreuses années d’enseignement à l’université Columbia, dont elle préside le Centre des études françaises et francophones depuis sa fondation en 1997 jusqu’en 2002, elle partage son temps entre son île natale et New York.

Les romans de Condé explorent des questions de sexes, de races et de cultures, dans différents lieux et époques historiques, y compris les procès de sorcellerie à Salem,dans Moi, Tituba sorcière… Noire de Salem (1986) et le royaume bambara de Ségou (actuel Mali) au xixe siècle dans « Ségou”. Elle écrit également des romans pour le magazine « Je bouquine”. Elle a été aussi journaliste à la BBC et en France.

En France, Maryse Condé a été successivement élevée au rang de Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres en 2001, Commandeur de l’ordre national du Mérite en 2007 et Officier de l’ordre national de la Légion d’honneur en 2014.

Cette grande figure de la littérature française a été plusieurs fois nommée pour le Nobel. Cette fois, elle est lauréate d’un prix alternatif, éphémère… Une distinction hors norme.

Le Prix Nobel de la littérature a été reporté d’un an suite à un scandale #MeToo. Contrairement au classique Nobel, ce sont les lecteurs qui ont choisi le lauréat : une liste est d’abord constituée par des bibliothécaires puis ramenée à quelques noms par un vote populaire. Maryse Condé s’est félicitée « Je suis très heureuse et très fière d’avoir ce prix »

Née en février 1937 à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), Maryse Condé a publié une trentaine de romans portant notamment sur l’esclavage et l’Afrique, ainsi que des pièces de théâtre et des essais. Son dernier livre, « Le Fabuleux et Triste Destin d’Ivan et d’Ivana » est paru en 2017, deux ans après « Mets et Merveilles », qu’elle avait annoncé comme son ultime ouvrage. Cette grande figure de la littérature a eu plusieurs vies. Le livre dans lequel elle se livre le plus est « La vie sans fards ». L’occasion de réexposer cet article paru en 2013.

« La vie sans fards » de Maryse Condé paru chez Lattés, aurait pu être une biographie non autorisée.

Elle casse son propre mythe. Elle raconte sa vie avec une franchise déconcertante parfois bouleversante. Elle n’a pas peur de paraître sous un mauvais jour : pas d’angélisme, de glorification personnelle, de vérité arrangée, embellie, l’auteur de « Ségou », se raconte sans fard, dans une brutale vérité. Et quelle vérité !

De son enfance au sein d’une famille bourgeoise guadeloupéenne, qui l’idolâtre puis la méprise… à l’Afrique sa terre promise qui la décevra tant, Maryse Condé raconte sa vie. Elle commence par évoquer son parcours de fille mère dans les années 50 à Paris. Elle est trahie parson amant, le journaliste militant haïtien Jean Dominique. Il l’initie à la cause noire avant de l’abandonner enceinte. Elle se retrouve sans un sou, continuant ses études tant bien que mal, confiant un temps son garçon, Denis, à l’Assistance publique puis à une nourrice. Un déchirement.

Puis elle rencontre son premier mari Mamadou Condé. Il lui redonne une virginité. Elle ne lui parle pas de son enfant. Ils se séparent une première fois, après trois mois de mariage. Après bien des souffrances et des péripéties, elle décide de partir seule en Afrique avec son fils. Ses études terminées, elle enseigne le français en Guinée, au Ghana et au Sénégal. Puis dans les années 1970, elle quitte l’Afrique pour retourner vivre en France.

En 1975, elle obtient à la Sorbonne Nouvelle un doctorat en littérature comparée grâce à sa thèse portant sur les stéréotypes à l’encontre des Noirs dans la littératurecaribéenne. L’année suivante elle publie son premier roman, « Heremakhonon », réédité plus tard sous le titre « En attendant le bonheur ».

En 1981, elle divorce et épouse en secondes noces Richard Philcox, le traducteur de la plupart de ses romans vers l’anglais.

La suite est un véritable roman, la réalité dépasse la fiction. L’œuvre littéraire de Maryse Condé se dessine, se comprend, à travers ses confidences.

L’auteur guadeloupéenne raconte sa vie avec retenue, mais sans pudeur, se montre sous son jour véritable, mesquine parfois, infidèle beaucoup, triste mauvaise mère, inconsciente, mélancolique mais aussi extrêmement téméraire et courageuse. La vie lui envoie tellement d’épreuves qu’elle ne sait plus rire, ni sourire, résistant aux coups du sort et avançant sans cesse, faisant des rencontres incroyables tel MalcomX, Sékou Touré, Che Guevara, l’air de rien, tissant de vrais liens d’amitié, au fil de son cheminement. La vie d’une femme libre… Elle en paie le prix.

Maryse Condé se construit intellectuellement et humainement au gré de ses coups de folies, de ses fuites, de ses lectures. Elle est rarement raisonnable et se laisse aller aux affres de la passion au détriment parfois, de ses enfants. C’est à plus de 40 ans qu’elle écrit son premier livre « Ségou » qu’elle accouchera dans la douleur.

On n’échappe pas à son destin. En lisant ce livre, c’est une évidence…

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