Une première pour le dialogue entre le Vatican et al-Azhar

26-05-2016 01:04 PM

Michael Victor


 Le Grand Imam d’al-Azhar est reparti satisfait de sa visite au Vatican, montrant que les croyants ne sont pas des concurrents mais des compagnons de route.
 
Après cinq ans de gel, la rencontre historique entre le Pape et le grand imam d’al Azhar, au Vatican, lundi 23 mai, sonne comme les prémisses d’une réelle reprise de dialogue officiel entre le Saint-Siège et la plus grande institution académique de l’islam sunnite. « Les conditions sont réunies pour la reprise d’un dialogue », a déclaré le grand imam de la mosquée d’Al-Azhar au Caire, dans un entretien à la presse vaticane, après la rencontre. Dans cet entretien, Ahmed al-Tayeb a remercié le Saint-Père « pour son accueil chaleureux » et, après des paroles très élogieuses à son égard, a souligné l’importance que les religions « poursuivent leur mission sacrée : rendre l’être humain heureux ».
Après le face-à-face
Alors que musulmans et chrétiens souffrent ensemble de la violence et du terrorisme, le Grand Imam a souligné l’importance d’une bonne entente entre les religions pour « diriger les hommes vers la miséricorde et la paix ». Il demande au monde entier « de s’unir et de serrer les rangs » pour combattre et éliminer le terrorisme. Puis dans un appel « au monde et aux hommes libres du monde », il exhorte à « se mettre d’accord et intervenir tout de suite pour mettre fin aux effusions de sang ». Et enfin, il a réaffirmé que l’islam n’a rien à voir avec le terrorisme,  que « ceux qui tuent les musulmans et tuent aussi les chrétiens ont déformé les textes de l’Islam, intentionnellement ou par négligence ».
Ce face-à-face d’une demie heure entre le Pape et le grand imam est un beau « message pour les musulmans et les chrétiens, en particulier ceux du Moyen Orient », a commenté le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, au sortir de la rencontre. Et particulièrement en Égypte, confirme l’évêque copte catholique d’Assiout, Mgr Kyrillos William Samaan, où « la contribution offerte ces dernières années par al-Azhar, en faveur de la coexistence et du dépassement des dérives sectaires » ne cesse de croître.
Bons échos en Égypte
En Égypte, « les journaux les plus répandus ont consacré un large espace » à la rencontre, révélant ainsi « toute l’attention et les attentes » que tel événement suscite au sein de la société.
Depuis quelques années, précise Mgr Kyrillos, le grand imam, et le Patriarche copte orthodoxe Tawadros (II), font leur possible pour « revitaliser » « la Maison de la Famille », qu’ils ont voulue en 2011 pour prévenir des heurts entre chrétiens et musulmans. Récemment, sous l’égide de cette institution qui coordonne un réseau diffusé de manière capillaire sur le territoire national, une quarantaine d’imams et de prêtres ont animé ensemble une mission dans les écoles de la province égyptienne de Minya afin de promouvoir, par le biais de conférences et débats avec les élèves, « une culture de la rencontre et de la paix, en la valorisant comme base d’une coexistence pacifique, sociale et religieuse ».
Un savoir-faire unique
Tous les ans, depuis son élection, le pape François, après une rencontre en 2013 avec Tawadros II, à l’occasion des quarante ans de la rencontre historique entre Paul VI et le Patriarche Chenouda III, célèbre tous les 10 mai, à sa demande, « l’amour fraternel qui unit l’Église catholique et l’Église copte-orthodoxe ». Cette année, le Pape lui a écrit une lettre dans laquelle il a beaucoup insisté sur les valeurs partagées entre les deux communautés, et redit sa préoccupation pour les chrétiens du Moyen-Orient.
Ce climat de confiance restauré entre les différentes institutions, réjouit le cardinal Jean-Louis Tauran, à qui revient une grande partie des efforts. Concernant le grand imam d’Al-Azhar, la dernière rencontre du genre remonte à l’an 2000, lorsque Jean-Paul II s’était rendu au Caire. Mais aujourd’hui, le président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux « ne veut plus regarder vers le passé », a-t-il confié dans un entretien à Radio Vatican, seulement  » la situation telle qu’elle est aujourd’hui, et voir comment l’améliorer pour demain ».
Et s’il y a un message à faire passer après cette visite, le cardinal Tauran n’hésite pas une seconde : elle montre que « les croyants ne sont pas des concurrents mais des compagnons de route … qu’ils ont leur place dans la société et ensemble ils peuvent collaborer pour les grandes causes de la justice, de la paix, de la fraternité … Qu’il y a un savoir-faire des communautés de croyants, une manière de vivre la diversité dans l’unité qui pourraient inspirer bien des programmes politiques ».
L’audience accordée lundi dernier à Rome par le Pape François à l’imam d’Al Azhar, le cheikh Ahmed Al Tayeb, est donc une première.
La rencontre est l’aboutissement de plusieurs années de travail. L’entrevue, qui a duré une trentaine de minutes, a été «très cordiale», selon le père Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège.
Le Saint-Père et le Grand Imam d’Al-Azhar, la plus haute autorité de l’islam sunnite ont souligné «la grande signification de cette nouvelle rencontre dans le cadre du dialogue entre l’Eglise catholique et l’Islam». Selon le Saint-Siège, leur échange a ensuite porté sur «l’engagement commun des autorités et des fidèles des grandes religions pour la paix dans le monde, le refus de la violence et du terrorisme, la situation des chrétiens dans le contexte des conflits et des tensions dans le Moyen-Orient, ainsi que leur protection». Le Pape a offert au Grand Imam d’Al-Azhar un médaillon représentant l’olivier de la paix ainsi qu’une copie de son encyclique Laudato Si’, une lettre aux fidèles dans laquelle il exhorte le monde à se réveiller à la menace posée par le changement climatique et demande également un rééquilibrage de la relation économique entre les mondes industrialisés et en développement..
Au Vatican, on justifiait aussi l’intérêt pour le Pape de recevoir le grand imam d’Al Azhar pour le « symbole » que représente cette institution, qui jouit d’un « immense prestige au cœur de l’islam sunnite ». Ce n’est pas la personne d’Ahmed Al Tayeb en tant que telle que le Saint-Siège met en avant, mais la fonction qu’il occupe dans le monde sunnite qui en fait un acteur incontournable du dialogue interreligieux. 
Mardi dernier, le cheikh Ahmed Al Tayeb a assisté à un colloque organisé à la mairie de Paris par la communauté de Sant’Egidio sur le thème « Orient, Occident, dialogues de civilisation ». L’après-midi, il a été reçu à l’Élysée par François Hollande.
Mercredi dernier, il s’est rendu à l’Institut catholique de Paris pour signer un partenariat entre les deux facultés de lettres, permettant des échanges d’étudiants ou d’enseignants, des séminaires doctoraux et des journées d’études.
 
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