Le «martyr de la Compagnie de Jésus» à Homs

10-04-2014 03:27 PM


Le prêtre jésuite néerlandais Frans van der Lugt, 75 ans, installé à Homs depuis des décennies, a été tué lundi dernier par un homme masqué qui a tiré sur lui, rapporte l##Observatoire syrien des droits de l##homme (OSDH).

Les pères Jésuites en Syrie ont participé à la Messe d’action de grâce pour le repos de l’âme du Père Martyr Frans van der Lugt, mercredi dernier en l’église du Saint Sauveur d’Al-Nouzha, en présence des parents du regretté et de ses collègues et amis. Par ailleurs, sa dépouille a été ensevelie dans le jardin du couvent à Bustan Diwan où il a vécu et a été assassiné.
Frans van der Lugt avait refusé de quitter ce quartier encerclé par l’armée gouvernementale, en solidarité avec les quelques familles chrétiennes et musulmanes restées sur place depuis le début du conflit. Il était très engagé dans le dialogue interreligieux et considérait la Syrie comme sa “deuxième patrie”.
Dans les années 1980, il avait dirigé à Homs le projet Al Ard (“la terre”), un centre de spiritualité aux abords de la ville de Homs. Le centre accueillait environ 40 jeunes handicapés mentaux provenant des villages voisins. Assiégée dans le quartier de Bustan al-Diwan, la petite communauté vivant avec le Père van der Lugt ne pouvait se mouvoir que sur un minuscule territoire de moins d’un kilomètre de long, et souffrait de la faim.
Arrivé en Syrie dans les années 1960, le prêtre avait choisi de rester dans la vieille ville, assiégée et bombardée depuis deux ans par les forces du régime Assad. Selon les premiers témoignages, il aurait été sciemment visé d’une balle dans la tête alors qu’il se trouvait dans son monastère dans la matinée.
A la fin de janvier, Frans van der Lugt avait lancé un appel à l’aide internationale, assurant dans une vidéo mise en ligne sur Youtube que la situation à Homs était devenue « intolérable » et que la ville avait un besoin urgent de nourriture et de matériel médical.
« Le peuple syrien m’a tant donné, tant de gentillesse, tant d’inspiration et tout ce que je possède. Maintenant qu’il souffre, je dois partager sa peine et ses difficultés. Je suis le seul prêtre et le seul étranger à être resté. Mais je ne me sens pas comme un étranger, mais comme un Arabe parmi les Arabes,» a-t-il dit.
« Nous avons très peu à manger. Les gens dans la rue ont le visage fatigué et jaune. C’est la famine ici, mais les gens ont également soif d’une vie normale. L’être humain n’est pas seulement un estomac, il a aussi un cœur, et les gens ont besoin de voir leurs proches, » a-t-il ajouté.
Quelques jours plus tard, 1 400 personnes avaient pu être évacuées de la vieille ville de Homs, en vertu d’un accord négocié par l’Organisation des Nations unies entre le régime et les rebelles, mais il avait encore choisi de rester.
« UN HOMME DE PAIX »
« C’est ainsi que meurt un homme de paix, qui, avec un grand courage, a voulu rester fidèle, dans une situation extrêmement risquée et difficile, à ce peuple syrien à qui il avait donné depuis longtemps sa vie et son assistance spirituelle », a réagi lundi le porte-parole du Vatican, le père Federico Lombardi. « Où le peuple meurt, meurent aussi les plus fidèles pasteurs avec lui », a-t-il ajouté. « Nous pensons aux évêques, prêtres et simples citoyens enlevés », a-t-il dit, faisant allusion à deux évêques orthodoxes, à des prêtres, dont le jésuite italien Paolo Dall’Oglio, dont on est sans nouvelles.
Le ministre des Affaires étrangères néerlandais, Frans Timmermans, a écrit sur sa page Facebook que Frans van der Lugt, « qui était devenu syrien parmi les Syriens », avait été « lâchement assassiné ». « Il est la énième victime de ces combats atroces, et il mérite notre respect et notre gratitude. Et il doit pouvoir compter sur nous pour mettre fin à cette misère », a-t-il ajouté.
La Coalition nationale de l’opposition syrienne a condamné le meurtre « dans les termes les plus forts ». Selon le communiqué de l’opposition, le père van der Lugt était protégé par l’Armée syrienne libre (ASL). « Le garde de l’ASL a été blessé à la poitrine quand un homme armé et masqué a attaqué le monastère », a précisé la Coalition.
NE PAS “ANGÉLISER LES INSURGÉS”
Le Père Frans était originaire de La Haye et a vécu sa jeunesse à Amsterdam. Arabophone, le Jésuite avait une formation de psychothérapeute. Il a également travaillé en Syrie dans le développement rural, tant en faveur des familles musulmanes que chrétiennes. Dans une interview accordée à l’Apic, en plein milieu des bombardements, il se refusait à  décrire la situation de la Syrie en noir et blanc. De façon prémonitoire, il demandait de ne pas diaboliser le régime syrien, “pas plus qu’il ne faut angéliser les insurgés, car il y a le risque que les fanatiques l’emportent”. Il reconnaissait que les combats entre communautés existent bel et bien en Syrie, opposant principalement les sunnites aux alaouites, qui, dans l’histoire, avaient été longtemps exploités par les musulmans sunnites, “qui ne le considèrent pas comme de vrais musulmans, quand ils ne les traitent pas d’hérétiques”. Il soulignait également que si les sunnites représentent plus de 70% de la population, tous ne sont pas avec les insurgés, car “il y a aussi des sunnites pro-Bachar al-Assad, et les rebelles n’ont pas le soutien de la majorité”. Pour nous, les chrétiens, confiait-il à l’Apic, “l’important est de ne pas être fanatiques avec les fanatiques!»
De sa part, le Père Alex Basili, Provincial des Jésuites pour le Moyen-Orient et le Maghreb, a précisé avoir été informé par ses confrères sur place de l’odieux attentat. “Que le Seigneur l’accueille et soutienne nos confrères de la Compagnie de Jésus qui se dédient totalement au service de toutes les victimes de la violence”, a-t-il déclaré.
Témoignant de son grand dévouement à la Syrie, son collègue à la Compagnie de Jésus, le Père Hilal raconte que jusqu’à la fin, le Père Frans n’aura eu de cesse de visiter les malades, de “mendier de la nourriture à droite à gauche” pour les plus faibles et les plus âgés. “Je sais qu’il lisait et méditait beaucoup”, déclare le Père Hilal, “jusqu’au bout il n’a cessé de parler de paix et de donner l’exemple. Il a prêché et vécu l’Evangile. Plus encore, il a donné sa vie, c’est un martyr de la Compagnie de Jésus”. Et le Père Ziad Hilal d’ajouter : “Il n’y avait rien dans sa maison, il n’avait rien à perdre, il n’avait que sa foi et son désir d’être là pour tous”. Le Père Ziad Hilal est l’un des deux seuls jésuites encore présents aujourd’hui à Homs. “On tient le coup”, conclut-il, “on va rester avec notre peuple, notre Eglise, notre pays”.
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