Au Yémen, éclatement d’un pays arabe

22-01-2015 04:02 PM

Karim Felli


Les rebelles chiites se sont emparés du palais présidentiel au Yémen. Plus de deux ans après son “printemps arabe” et le départ du président Ali Abdallah Saleh, le Yémen a connu mardi une nouvelle convulsion avec la chute du palais présidentiel pris par des miliciens chiites. Les miliciens houthis (du nom de famille de leurs chefs) sont entrés dans le complexe présidentiel au sud de la capitale Sanaa et ont pillé des armes dans des dépôts. Alors que le Conseil de Sécurité se réunissait d’urgence à la demande des Britanniques, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, a appelé à un arrêt immédiat des combats.
 
Condamnation des attaques à Sanaa
Le Conseil de sécurité “CS” de l’ONU a condamné les attaques contre le palais présidentiel et la résidence du président à Sanaa par les rebelles houthis, exprimant son soutien au président du Yémen, Abd Rabbo Mansour Hadi. Le Conseil souligne dans une déclaration adoptée à l’unanimité que  Hadi “est l’autorité légitime” et que “toutes les parties et tous les acteurs politiques au Yémen doivent soutenir le président Hadi”, son Premier ministre et son gouvernement pour “garder le pays sur le chemin de la stabilité et de la sécurité”. Après avoir pris le 21 septembre dernier Sanaa, la milice chiite connue aussi sous le nom d’Ansar Allah, s’est clairement fixée comme objectif de renverser le président Abd Rabo Mansour Hadi. De fait depuis plusieurs semaines, ce dernier semble de plus en plus isolé, et a même été abandonné par certains de ses plus proches alliés. Avec la prise du palais présidentiel, le fragile accord de paix conclu sous les auspices des Nations unies, a ainsi volé totalement en éclats ouvrant une nouvelle crise grave dans ce que l’on appelait “l’Arabie heureuse”. Les Houthis qui avaient sous le président Saleh mené six guerres de 2004 à 2010 et qui contrôlent de plus en plus fermement le nord du pays, sont décidés à lutter plus durement contre la corruption qui gangrène l’économie yéménite, à assurer la sécurité et à se battre contre Al Qaïda. “Sans aucun doute, ils ont secoué un processus de transition agonisant et ouvert de nouvelles possibilités pour bousculer une économie dominée par la corruption politique”, écrivait récemment April Longley Alley. Mais, poursuivait l’experte de l’International Crisis Group (ICG), les Houthis ont polarisé les divergences politiques et aggravé la situation. De plus, au sud du pays, les indépendantistes sont confortés dans leur revendication dans un pays qui avait été réunifié il y a près de 25 ans.
 
Conflit par procuration
Mais le Yémen est aussi le théâtre d’un conflit par procuration, voire de plusieurs conflits. L’Arabie saoudite, qui partage une longue frontière avec ce pays, considère de plus en plus que les Houthis sont soutenus par l’Iran. Avec à la clef, l’importante aide financière -au moins 4 milliards de dollars depuis 2012- qui a permis au Yémen d’avoir un ballon d’oxygène financier. D’après l’ICG, cette aide aurait été suspendue. Mais il ne s’agit pas du seul conflit. Le Yémen est aussi le théâtre d’un violent affrontement avec Al Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). C’est cette branche qui a d’ailleurs revendiqué dans une vidéo postée sur Internet l’attaque meurtrière contre Charlie Hebdo. Une vidéo authentifiée par les services de renseignement américains. Les frères Kouachi , qui ont mené l’attaque contre Charlie Hebdo, s’étaient aussi réclamés d’AQPA. Dès son arrivée au pouvoir, le président Hadi avait donné un feu vert aux Américains pour poursuivre des frappes de drone dans les fiefs du sud et de l’est du pays de l’organisation terroriste. Sera-t-il demain maintenu ?
 
Entre houthistes et Al-Qaida
La situation au Yémen est de plus en plus confuse. La rébellion des chiites houthistes vient de chasser le président légitime de la capitale, Sanaa. Cela pourrait être lourd de conséquences pour ce pays où prospère la branche d’Al-Qaïda. “Le président Abd Rabbo Mansour Hadi a quitté sa résidence à bord d’un véhicule de l’ambassade américaine pour se diriger vers Aden”, la deuxième ville du pays. Il a été chassé par les rebelles houthistes [un groupe armé qui se revendique du zaydisme, une branche de l’islam chiite qui n’existe qu’au Yémen], qui encerclaient le palais présidentiel à Sanaa depuis le 20 janvier. Il s’agit d’une milice dirigée par Abdel Malek Al-Houthi. Les zaydites constituent environ un tiers de la population yéménite, le reste étant sunnite.
 
Le Hezbollah et le chiites de Yémen
La chute du président légitime était attendue depuis l’occupation de la capitale Sanaa par les rebelles, il y a trois mois déjà. Mais ils ne garderont pas longtemps le pouvoir central. Ils ne sauront pas gérer le pays, ni réaliser les promesses qu’ils ont faites aux habitants. Au lieu de combattre la corruption comme promis, ils ont pillé la capitale afin de financer leurs opérations. Ils ressemblent au Hezbollah libanais. Lui aussi veut avoir la main sur les institutions mais sans prendre de responsabilités pour la bonne gouvernance du pays. La comparaison avec le Hezbollah libanais s’impose d’autant plus qu’en Iran la presse se félicite de cette “victoire chiite” et qu’un député iranien a déclaré que Téhéran régnait désormais sur quatre capitales arabes, à savoir : Beyrouth au Liban, Bagdad en Irak, Damas en Syrie et Sanaa au Yémen.
 
Vers une “somalisation” du Yémen?
Face à ces rodomontades iraniennes, Gulfnews, des Emirats arabes unis, écrit : “Les pays du Golfe ne peuvent pas rester bras ballants alors qu’un groupe allié à l’Iran roule des mécaniques au Yémen.” “Nous considérons le Yémen comme un partenaire stratégique et devons agir pour y rétablir la souveraineté, préserver l’intégrité territoriale et restaurer la stabilité.” Le quotidien saoudien Al-Riyad, de son côté, ne croit pas à une intervention étrangère : “Contrairement à ce qui s’est passé en Irak face à Daech, le Yémen va être livré à lui-même. La ‘somalisation’ est le scénario le plus probable”, écrit-il. Dans le sud du Yémen, loin de craindre la dislocation du pays, la presse souligne au contraire l’opportunité que ces événements pourraient constituer pour les sécessionnistes du Sud : “Les leaders indépendantistes appellent les habitants à saisir l’occasion et à imposer le fait accompli”, titre ainsi Hayat Aden, journal de l’ancienne capitale sud-yéménite, Aden. A défaut, estime pour sa part Aden Al-Ghad, “le Sud subira une nouvelle guerre tribale du Nord, de la part des houthistes cette fois-ci”.
 
Les craintes d’éclatement
Entre les craintes d’éclatement du pays et celles d’une guerre par procuration entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, ces événements alimentent également l’impression des sunnites du Golfe d’être encerclés : “Le pouvoir yéménite tombe aux mains des houthistes juste après qu’Aqpa [Al-Qaida dans la péninsule arabique] a endossé les [attentats contre Charlie Hebdo] à Paris”, écrit ainsi l’ancien député salafiste koweïtien Walid Al-Tabtabaï sur son compte Twitter. Il sous-entend que ce serait l’Occident qui aurait permis aux houthistes d’avancer, pour, d’une certaine manière, punir Aqpa, et, à travers cette organisation, les sunnites. Selon cette vision des choses, très répandue dans le Golfe, l’Iran, les Occidentaux et Israël auraient une stratégie commune, exécutée en sous-main, et destinée à affaiblir les sunnites. Aussi, la tournure des événements au Yémen pourrait notamment avoir pour conséquence une hausse des soutiens financiers en provenance de donateurs sunnites privés du Golfe.
 
 
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