La Villa Aghion des frères Perret disparaît !

13-02-2014 03:00 PM


Ce qu’il fallait craindre, depuis que cet édifice construit en 1926-1927 par les frères Gustave et Auguste Perret avait été éventré par des bulldozers, est malheureusement arrivé : l’Hôtel Aghion n’est plus qu’un monceau de ruines.

 La mobilisation des défenseurs du patrimoine n’a pas fonctionné, dans un pays où le vandalisme n’épargne même plus les sites archéologiques et les musées.   La Villa a été retirée de la liste des monuments historiques dans des conditions obscures il y a quelques semaines et le permis de démolir obtenu dans la foulée. La situation politique actuelle dans beaucoup de pays arabes est plus que jamais une menace pour le patrimoine. 
 
Le Consulat français à Alexandrie avait réclamé le 9 février l’interruption du processus de démolition de la villa Gustave Aghion, construite par Auguste Perret, un fameux architecte français, il y a plus de 90 ans et a menacé de l’intervention de l’Unesco puisque la villa est inscrite sur la liste du patrimoine mondial.
En effet, un des plus anciens et plus emblématiques sites architecturaux modernes d’Alexandrie, la Villa Aghion construite par les frères Perret en 1927, est actuellement en cours de démolition.
Les propriétaires de l’immeuble ont obtenu un ordre de la cour pour sa démolition et ont commencé le processus, dans la matinée du mercredi 5 février.
” Nous avons déjà démoli 70 pour cent de la villa, les pièces les plus importantes”, a  déclaré Mohamed Aboul- Kheir, du groupe d’activisme pour la sauvegarde du patrimoine d’Alexandrie, au site “Ahram en ligne”.
“Vu que la cour agit de façon indépendante, et non pas en conformité avec l’Organisation nationale pour l’harmonie urbaine responsable du maintien du patrimoine architectural de l’Égypte, des sites similaires sont à plusieurs reprises en cours de démolition”, a dit Aboul-Kheir.
Situé à Wabour Al- Maya, l’un des quartiers les plus riches d’Alexandrie, cette résidence privée a été réalisée par les frères Perret pour Gustave Aghion, un architecte lui-même, de 1926 à 1927.
Le bâtiment revêt une importance historique supplémentaire pour le fait d’être le premier d’une série de bâtiments construits par les frères Perret à Alexandrie et au Caire entre 1927 et 1938.
Les frères Perret, des personnalités du mouvement architectural néo-classique, sont crédités de nombreux bâtiments emblématiques de Paris, y compris le Théâtre des Champs- Elysées construit en 1913.
Bâtiment exceptionnel
 
Ouvrage de commande passé aux Frères Perret par Gustave Aghion, architecte appartenant à la haute société cosmopolite de la ville d’Alexandrie, l’Hôtel Particulier Aghion est situé dans un quartier résidentiel cossu d’Alexandrie et constitué d’un bâtiment avec étage et jardin à l’arrière. Réalisant le bâtiment, le jardin et le mobilier de la salle à manger, Auguste et Gustave Perret y firent démonstration de ce qui deviendra par la suite constitutif du « vocabulaire Perret ». En effet, les ferronneries à motifs de palmettes, qui connaîtront une grande postérité dans les années 1930, y trouvent leur première occurrence. De même, la rotonde semi-circulaire couronnant le hall, en saillie côté jardin, et habillée de cinq panneaux de claustras triangulaires en ciment armé constitue la première démonstration de rotonde à colonnades puisque les architectes en referont usage plus de vingt ans plus tard au Musée des Travaux Publics à Paris. Mais il faut également souligner l’exemplarité de cet édifice en termes de façade, le remplissage y étant assuré par l’usage d’un béton armé sans enduit et par des briques égyptiennes différemment appareillées.
Notons que l’hôtel en question est l’un des débuts des Perret en Égypte, puisque 1927 sera l’occasion d’un projet de Couvent Dominicain au Caire, qu’entre 1933 et 1934 fut édifié à Alexandrie l’immeuble d’Édouard Aghion, qu’entre 1935 et 1938 fut construite la villa d’Elias Awad Bey au Caire, face au Nil, puis que, dès 1938, les prémices d’un immeuble bâti pour Ali Yéhia Bey virent le jour à Alexandrie. L’hôtel Particulier Aghion, fût donc le premier d’une série de trois constructions alexandrines. Gustave Aghion procura ainsi un carnet de nombreuses commandes aux architectes, Edouard étant son frère, et Ali Yéhia Bey, un courtier en coton dont les affaires étaient dirigées par un ami.
L’avidité
L’édifice a semble-t-il été vendu après la révolution nassérienne et le départ précipité des propriétaires. L’augmentation spectaculaire du nombre d’habitants ces trente dernières années a fait d’Alexandrie une cité qui s’engorge, ne comptant que 232 000 habitants à l’aube du XXème siècle, mais désormais près de 5 millions. Concernant l’hôtel Aghion, l’enjeu de sa conservation est bien là. La crise du logement est telle que le terrain vaut de l’or. Propriétaire ou promoteurs se pressent donc de la faire détruire afin de construire sur le terrain quatre immeubles. Cela explique d’ailleurs pourquoi un autre immeuble se trouvait déjà adossé à la villa côté Ouest. Le lent processus de déliquescence dans lequel le propriétaire actuel a engagé cet édifice permettra probablement après le coup fatal qui vient de lui être donné, de clamer qu’elle présente un danger irrémédiable voire immédiat, qui nécessite de la faire démolir. Ce type d’action est d’ailleurs fréquent pour qu’un promoteur réussisse à obtenir la démolition d’un bien censé être « protégé ». La maison aux volets fermés et à la mine affamée n’a plus livré aucun de ses secrets depuis des années. La villa à la mine rabougrie n’a pas vu la lumière depuis bien longtemps semble-t-il et attendait paisiblement son heure venue le 28 août 2009. Une pelleteuse était venue à l’aube éventrer la façade côté jardin.
La nécessité immédiate l’emporte
Si les préoccupations quotidiennes de la population et la nécessité immédiate des familles ne sont pas à négliger, dans quelle mesure peut-on laisser une telle destruction et une progressive négation patrimoniale se produire sans agir ? Le regard porté à cette villa ne suffit désormais plus à la faire exister et la prise de conscience de l’intérêt de ce patrimoine, notamment auprès des instances égyptiennes, aurait dû établir son droit d’être transmis aux générations futures. Le patrimoine français ne peut à lui seul expliquer l’ampleur de leur action architecturale. Si Alexandrie a joué un rôle de terre d’accueil fertile pour les expérimentations architecturales de la première moitié du XXe siècle, ce patrimoine se doit d’être pris en compte comme volet essentiel du patrimoine bâti de la ville, et ce malgré les problématiques liées à l’acceptation d’un passé douloureux. Le simple fait que cet hôtel particulier ait été le premier de deux autres projets architecturaux achevés à Alexandrie, devrait permettre de comprendre l’importance de l’empreinte qu’Auguste et Gustave Perret ont laissée sur l’histoire architecturale et patrimoniale d’une cité en péril de ses identités.
Matériau simple traité noblement
 
Auguste Perret s’inscrit dans la lignée d’un grand-père carrier et d’un père tailleur de pierre : il a toujours gardé un goût du matériau simple traité noblement et un sens tout aussi modeste que pragmatique de la construction. Né à Bruxelles, où son père avait trouvé refuge après son implication dans la Commune de Paris, il s’initie aux procédés de constructions modernes au sein de l’entreprise familiale, avant d’orienter définitivement sa carrière en tant qu'”architecte spécialisé dans le béton armé”. 
En 1905, associé à ses frères Gustave et Claude – qui avaient repris l’entreprise de maçonnerie fondée par leur père – Auguste Perret devient l’un des premiers entrepreneurs à employer le béton armé dans la construction. Grâce à une réflexion ouverte sur les possibilités techniques et formelles de ce nouveau matériau, il est considéré comme le précurseur du plan libre en arrivant rapidement à la conclusion que la construction est fondée sur deux entités fondamentales : la structure porteuse (ou ossature) et les remplissages (cloisons, baies et trumeaux). Il appliqua au béton des formes et des proportions souvent apparentées au classicisme français, ainsi que des textures et des surfaces travaillées à la manière de la pierre de taille (choix des constituants du béton, bouchardage des surfaces). “Mon béton, disait-il en 1944, est plus beau que la pierre. Je le travaille, je le cisèle, j’en fais une matière qui dépasse en beauté les revêtements les plus précieux.
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