Le prix Nobel de littérature décerné à la Française Annie Ernaux

22-10-2022 08:01 AM


L’écrivaine Annie Ernaux, 82 ans, figure majeure de la littérature française, dont les romans, largement autobiographiques, font œuvre de sociologie, vient d’être auréolée du prix Nobel de littérature, jeudi 6 octobre. «L’écrivaine est récompensée pour le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle», a expliqué le jury Nobel. La romancière est la première femme parmi les 16 écrivains français à obtenir le Nobel de littérature depuis la fondation des célèbres récompenses en 1901. Annie Ernaux devient aussi la 17e femme à décrocher le Nobel de littérature.

Pour l’Académie suédoise, malgré un style littéraire consciemment ludique, elle déclare qu’elle est ethnologue d’elle-même plutôt qu’une écrivaine de fiction. Son style clinique, dénué de tout lyrisme, est étudié partout dans le monde et a fait l’objet de nombreuses thèses.

Plusieurs de ses livres ont été des best-sellers. Ses thèmes sont souvent les mêmes, l’amour, la rupture, la passion, la condition de femme. Annie Ernaux et ses livres suscitent la curiosité. Des ouvrages parfois vendus à plus de 500.000 exemplaires.

Ses romans s’inspirent de sa vie. On y découvre son enfance modeste, les inégalités dont elle a souffert et également des sujets très intimes, comme son avortement illégal en 1964. Son prochain projet se déroulera sur le grand écran. Il s’agit d’un documentaire sur sa vie de famille dans les années 70.

L’écrivaine française a publié une vingtaine de romans autobiographiques. En voici cinq pour découvrir l’écriture de cette figure féministe issue d’un milieu populaire.

“Les Armoires vides” (1974): C’est son premier roman publié en 1974 chez Gallimard. Inspiré de faits réels, il raconte l’avortement qu’elle a subi en 1964 alors qu’elle est étudiante. On retrouve l’autrice sous les traits de Denise Lesur. Cette dernière est seule dans sa chambre d’étudiante à la Cité universitaire et attend l’issue d’un avortement. Court et percutant, le livre raconte avec détail cet avortement ressenti comme un échec, une forme d’humiliation.
Humiliation, car la jeune femme, promise à un brillant avenir, croit voir dans cette grossesse son rêve d’émancipation de son milieu d’origine lui filer entre les doigts. Nourri de détails sur l’acte en lui-même, le roman avait été qualifié d'”obscène” par certains critiques. De cet avortement naîtra un autre livre emblématique : “L’événement” . Adapté par Audrey Diwan au cinéma, il a raflé le Lion d’or à la Mostra de Venise en 2021.

“La Femme gelée” (1981): Dans ce livre, Annie Ernaux poursuit son travail d’autofiction en analysant sa propre vie : de l’enfance à l’âge adulte, de jeune fille pleine de rêves à femme gelée.
Elle y raconte ce qu’est être une fille, une femme, une mère dans une société qu’elle juge encore patriarcale. Elle raconte la découverte des différences sociales entre les femmes et les hommes, la violence de cette inégalité. Le livre revient aussi sur le délitement de son mariage et son rôle d’épouse dans la France des années 1970.

“La Place” (1983): Le livre commence alors qu’Annie Ernaux est reçue au Capes de lettres modernes. Quelques semaines plus tard, son père meurt. L’autrice fait, dans «La Place», le portrait de celui-ci. Elle consacrera également un livre à sa mère («Une femme». Dans ce livre, elle évoque la situation délicate liée à son changement de milieu social. Elle est dorénavant “un transfuge de classe”. Née dans une famille normande très modeste – son père était paysan et illettré avant de devenir commerçant –, Annie Ernaux s’est éloignée de ce milieu en entrant dans une sphère bourgeoise et intellectuelle à travers ses études et son mariage. Les différences de centres d’intérêts, de préoccupations, d’activités, de fréquentations ont créé un fossé entre le père et la fille, qui n’ont plus grand-chose à se dire.

“Les Années” (2008): Il est considéré comme la pièce maîtresse de son œuvre. Elle y évoque sa vie pour tracer le roman de toute une génération, celle des enfants de la guerre marqués par l’existentialisme des années 1950 et la libération sexuelle. A travers l’allusion à des objets, des mots, des chansons, des émissions de télévision, elle restitue une vérité de son temps. “C’est à la fois le récit de ma vie mais aussi celui de milliers de femmes qui ont elles aussi été en quête de liberté et d’émancipation”, avait-elle confié en mai dernier.

“Mémoire de fille” (2016): Avec ce livre, Annie Ernaux se lance à la recherche de la “fille de 58”. Cette fille, c’est elle. Dès les premières pages du livre, comme un avertissement, elle prévient le lecteur. Ce qu’elle s’apprête à lui raconter, “c’est le texte toujours manquant. Toujours remis.” Ce texte manquant qu’elle omet depuis cinquante ans, c’est le récit de sa première nuit, l’été 1958, avec un homme. Elle, cette fille “gauche” qui ne connaissait rien à la vie et qui n’était jamais sortie de sa Normandie natale. Mais ce texte n’est pas seulement celui de la découverte de l’érotisme. C’est aussi sa première incursion, brutale, dans le monde adulte.

A cet égard, Annie Ernaux, née Duchesne, a grandi en Normandie – à Lillebonne où elle est née en 1940, puis à Yvetot, où ses parents ont déménagé quelques années plus tard pour tenir un café-épicerie. Élève à l’école privée catholique, elle côtoie des filles de milieux plus aisés que le sien, et fait l’expérience de la honte sociale. En 1958, âgée de 18 ans, elle part pour la première fois seule, sans ses parents, travailler dans une colonie de vacances.

Là, elle fera l’expérience de la vie en collectivité, expérience qu’elle livrera dans “Mémoire de fille” . Dans ce même livre, elle évoque aussi son séjour à Finchley, dans la banlieue de Londres, comme fille au pair en 1960, avant qu’elle ne décide d’étudier les Lettres à l’Université de Rouen, abandonnant la formation entamée pour devenir institutrice.

C’est à cette période qu’elle écrit son premier manuscrit, qui n’a jamais été publié. Les années qui suivent sont celles du mariage; de la réussite au Capes, puis à l’agrégation; de la naissance de ses deux fils; des années passées à Annecy, en Haute-Savoie, où elle est professeure dans le secondaire; et de la mort de son père, en 1967, alors qu’elle rend visite à ses parents en Normandie. En 1974, Annie Ernaux publie chez Gallimard son premier livre, “Les Armoires vides” .

En 1977, elle déménage en région parisienne avec sa famille, quitte l’enseignement secondaire et devient professeure au Cned, le centre d’enseignement à distance. En 1983, elle publie “La Place” , un récit retraçant la vie de son père. Couronné du prix Renaudot, ce livre attire un large lectorat. Après son divorce, elle continue à vivre dans la maison de Cergy où elle réside encore.

Dans les années 2000, elle quitte ses fonctions d’enseignante et signe “Les Années” , texte perçu par beaucoup comme l’accomplissement de son oeuvre, tant sur le contenu que sur la forme d’autobiographie collective. Ce livre sera couronné du prix Marguerite Duras et du prix François Mauriac, et sa traduction en anglais a été sélectionnée pour le prestigieux Man Booker International.

Mêlant l’expérience personnelle à la grande Histoire, ses ouvrages abordent l’ascension sociale de ses parents «La Honte», ses relations amoureuses «Passion simple», «Se perdre», son environnement «Journal du dehors», «La Vie extérieure», la maladie d’Alzheimer de sa mère “Je ne suis pas sortie de ma nuit” , la mort de sa mère “Une femme” et encore son cancer du sein «L’Usage de la photo», construisant ainsi une oeuvre littéraire «auto-socio-biographique»

Emmanuel Macron a salué sur Twitter l’attribution du prix Nobel de littérature à l’écrivaine française Annie Ernaux, “voix” de “la liberté des femmes et des oubliés du siècle”.

«Annie Ernaux écrit, depuis 50 ans, le roman de la mémoire collective et intime de notre pays», a tweeté le président de la République. “Elle rejoint par ce sacre le grand cercle de Nobel de notre littérature française”, a-t-il ajouté.

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