Le pape François en Irak, un voyage pour l’histoire

15-03-2021 07:49 PM


Le pape François a achevé dimanche dernier un voyage historique de trois jours en Irak. De la plaine biblique d’Ur à la ville martyrisée de Qaraqosh, il a multiplié les gestes symboliques et les déclarations fortes dont Jean-Paul II et Benoît XVI avaient rêvé.

En trois jours, le pape a parcouru le pays au vu et au su de tous. Pour accomplir cette visite impensable, ce pape aura bravé les conseils de tous les experts et de certains de ses proches, persuadés jusqu’au dernier moment qu’il était plus raisonnable de reporter le voyage, en raison des contraintes sécuritaires et sanitaires.

Dans une Bagdad rendue fantomatique par les contraintes du couvre-feu, traversée à toute vitesse, pendant trois jours, au cours des multiples allées et venues du convoi papal, François a tenu à rendre hommage aux martyrs de la foi. Vendredi, au premier soir de son voyage, il a prié dans la cathédrale syro-catholique Sayedat el Najat, en mémoire des 48 catholiques assassinés un matin d’octobre 2010 lors d’un attentat commis en pleine messe par les terroristes de l’État islamique. Dans ce lieu hautement symbolique, assis sous les portraits des 48 martyrs, il a imploré les catholiques irakiens de ne pas se laisser contaminer « par le virus du découragement », à l’heure où beaucoup ont choisi de quitter leur pays en raison des persécutions.

Pour résister, le pape les a encouragés à « puiser aux racines très anciennes de la présence ininterrompue de l’Église sur ces terres » et à faire preuve d’une foi « contagieuse ».

Au beau milieu du désert balayé par les vents, un chant s’élève. Un prêtre en soutane noire entonne lentement, en arabe, un passage du livre de la Genèse. C’est d’ici, chante-t-il, que Dieu a appelé Abraham, le père de tous les croyants. Tout près, deux lourds hélicoptères militaires survolent la petite foule, mêlant les battements de leurs pales au chant qui s’élève. Au centre, un homme vêtu de blanc écoute en silence, yeux clos. C’est d’ici, dans la plaine d’Ur, qu’est née la civilisation. C’est ici qu’un pape, François, a voulu se rendre en pèlerinage sur les pas d’Abraham, samedi 6 mars, au deuxième jour d’un historique voyage en Irak, entamé la veille.

Dans l’antique plaine d’Ur, samedi, là même où, selon la tradition, Dieu appela son prophète et lui fit la promesse d’une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel, le pape était donc « ici, à la maison ». Sa maison, mais aussi celle de ceux alors assis près de lui : des représentants religieux chrétiens et musulmans, ainsi que de nombreuses autres minorités irakiennes. « Si nous voulons préserver la fraternité, nous ne devons pas perdre de vue le ciel. Nous, descendance d’Abraham et représentants de diverses religions, nous sentons avoir avant tout ce rôle : aider nos frères et sœurs à élever le regard et de ce lieu source de foi, de la terre de notre père Abraham, nous affirmons que Dieu est miséricordieux et que l’offense la plus blasphématoire est de profaner son nom en haïssant le frère. »

Le matin même, c’est un autre responsable religieux que le pape François avait rencontré. Pendant une cinquantaine de minutes, il s’était entretenu, en privé, dans la ville sainte de Nadjaf, avec le grand ayatollah Ali Al Sistani. Le grand ayatollah mentionna notamment les thèmes de « l’injustice, l’oppression, la pauvreté, les persécutions religieuses et intellectuelles » et le Saint-Siège affirma l’importance de « la collaboration et de l’amitié entre les communautés religieuses afin que, cultivant la réciprocité et le dialogue, on puisse construire le bien de l’Irak, de la région et de l’humanité tout entière »

Au cours de ce voyage, le pape François a parcouru des routes vides. C’est en se rendant au nord du pays que le pape a pu enfin rencontrer la foule. Des milliers de personnes massées au bord de la route l’attendaient, dimanche matin, à son arrivée à Qarakosh. À la descente de son hélicoptère militaire, la ville entière a semblé courir près de sa voiture. Ceux-là mêmes que Daech avait voulu exterminer en 2014 parce qu’ils étaient chrétiens. Ceux-là mêmes qui ont fui en laissant tout derrière eux. Ceux-là mêmes qui ont eu le courage, en 2017, de rentrer dans leur ville libérée, où leurs maisons avaient été pillées et leurs églises détruites, et où tout était à reconstruire.

Accueilli par les youyous d’une liesse inouïe dans l’église de l’Immaculée Conception – transformée en prison au temps des islamistes –, le pape François a voulu réconforter et rassurer ces catholiques qui avaient tout enduré par fidélité à leur foi. « Vous n’êtes pas seuls ! », leur a-t-il lancé, leur assurant du soutien de l’Église tout entière. À ces chrétiens rescapés des « jours les plus sombres de la guerre », François a adressé un puissant appel à rester vivre en Irak.

Il était dit que le pape pousserait l’audace jusqu’au bout. Jusqu’à demander aux survivants des attaques terroristes de « pardonner ». « Pardon : c’est un mot-clé. Le pardon est nécessaire pour demeurer dans l’amour, pour demeurer chrétien. La route vers une pleine guérison peut être encore longue, mais je vous demande, s’il vous plaît de ne pas vous décourager. »

Une heure plus tôt, à Mossoul, qui fut trois ans durant le fief irakien de l’État islamique, le pape François avait scandé au milieu des ruines une condamnation sans appel du terrorisme commis au nom de la religion : « Si Dieu est le Dieu de la vie – et il l’est –, il ne nous est pas permis de tuer nos frères en son nom. Si Dieu et le Dieu de la paix – et il l’est – il ne nous est pas permis de faire la guerre en son nom. Si Dieu est le Dieu de l’amour – et il l’est –, il ne nous est pas permis de haïr nos frères. »

C’est aussi un appel à la fraternité que le pape a renouvelé devant plus de 10000 personnes, dimanche au stade Franso Hariri, à Erbil. Et c’est au stade qu’il fit ses adieux avant de quitter, lundi matin, la terre irakienne et s’envoler pour Rome. Après un tour très acclamé de papamobile, un véhicule qu’il n’avait pas utilisé depuis des mois en raison de la pandémie, il a lancé : « Ici en Irak, combien de vos frères et sœurs, amis et concitoyens portent les blessures de la guerre et de la violence, des blessures visibles et invisibles. La tentation est de leur répondre, ainsi qu’à d’autres faits douloureux, avec une force humaine, avec une sagesse humaine. Jésus nous montre au contraire la voie de Dieu. » Puis il a ajouté : « Aujourd’hui, je peux voir et toucher du doigt le fait que l’Église en Irak est vivante, que le Christ vit et œuvre dans ce peuple saint et fidèle qui est le sien. »

Oui, a promis le pape, « l’Irak restera pour toujours avec moi ». Nul doute que ce « pays bien aimé » n’est pas non plus près de l’oublier.

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