Disparition de l’icône de l’Opéra égyptien Hassan Kami

20-12-2018 10:45 AM


Le 14 décembre, l’Égypte a perdu une de ses figures emblématiques de l’opéra, le ténor Hassan Kami. M. Kami est décédé à l’âge de 82 ans. Il était également célèbre en tant qu’acteur et homme d’affaires qualifié.

La musique ne le quittait jamais. Au bureau, chez lui, en voiture, il avait son Ipod chargé d’une centaine de pièces de musique classique. Et, même la sonnerie de son portable était loin d’être ordinaire : il s’agit de Salam affandina (l’hymne khédivial), composé par l’Italien Pugioli, sous le règne du khédive Ismaïl.

Entre famille et musique, l’identité d’Hassan Kami s’est bien forgée. Il était fier de mes origines aristocrates et appréciait beaucoup sa profession de chanteur d’Opéra. Il n’aimait pas pourtant en parler beaucoup, de peur que les gens ne le prennent pour un snob.

Ses racines remontent à Mohamad Ali pacha. Son arrière-grand-mère est la princesse Zohra pacha, la fille de Mohamad Ali pacha. Elle s’est mariée avec Mohamad Ali Kami Al-Daftardar (ministre des Finances de l’époque), fils de Hassan Kami surnommé le capitaine pacha, chef de la marine ottomane d’antan.

Son père est né en 1918 et il a fait des études en archéologie avec Driotton, un professeur français destiné à la famille royale, et l’un des archéologues les plus renommés de l’époque. Mais il n’avait jamais travaillé. Il avait hérité pas mal de feddans de son père et se contentait d’en toucher les revenus chaque mois. Il est né à Doqqi, mais peu après, il a déménagé dans une maison de famille à Hélouan. Ils écoutaient Strauss, Mozart, Tchaïkovski, Oum Kalsoum, ou Asmahan … ses parents étaient de grands amateurs de musique classique.

Or, à l’instar de toutes les bonnes familles d’autrefois, le jeune homme était orienté vers la faculté de droit, dans le but de faire carrière dans le domaine politique. Pendant ses études, il faisait partie de la chorale des Jésuites. Son professeur de musique, qui appréciait son talent, lui a conseillé d’aller voir madame Rathle, une Arménienne spécialiste en vocalisation. Le bac en poche, il a décidé d’aller prendre des cours chez elle. Mais sa mère a refusé en disant : « tu vas commencer par chanter pour finir par danser ? ». Son père, quant à lui, a refusé de lui donner les frais des cours, qui étaient 4 L.E. par mois. Alors, il a décidé de passer son temps libre à travailler au lieu d’aller au club Guézira avec ses amis.

Intelligent et confiant, il a su fouiller en lui-même pour découvrir ses mérites, à savoir ses aptitudes langagières. Il s’est dirigé vers le bureau d’Al-Karnak, une compagnie de tourisme au centre-ville. Il a été embauché comme planton pour 10 piastres à l’heure. Il était satisfait de pouvoir ainsi économiser les 4 L.E. pour les cours : il se contentait de toucher uniquement son salaire et donnait les bakchichs à ses collègues. Ainsi, un nouveau parcours était entamé parallèlement à celui du chant lyrique. Grâce à cette expérience, il réussira plus tard à monter son propre business, en fondant son agence de tourisme Bon Voyage.

La vie était dure mais agréable. Malgré ses cours à la faculté, les cours de Mme Rathle et le travail, il n’hésitait pas à fréquenter les locaux de l’ancien Opéra (à Ataba, centre-ville), afin d’assister à la répétition d’une troupe italienne qui allait donner La Traviata de Verdi. En effet, il s’y imposait. Mais c’était pour l’amour d’apprendre. La surprise fut quand le héros s’est absenté un jour. Alors, le metteur en scène n’avait pas le choix. Il a remplacé le chanteur absent. Il avait fait la connaissance de Canetti, une personne dont le travail était d’applaudir à celui qui excellait, afin de l’encourager et de pousser tous les spectateurs à le faire eux aussi. Alors, il lui avait donné une enveloppe avec de l’argent dedans, pour être sûr qu’il allait l’acclamer. Cependant, il avait refusé de la prendre et lui avait demandé de bien chanter. Et c’était fait. Et le lendemain, il a lu dans certains journaux le titre : La Traviata interprétée par un excellent chanteur anonyme.

Ce jour a beaucoup marqué son caractère de chanteur, le poussant à plus de persévérance pour réaliser son rêve. La licence en poche, il s’est présenté au ministère des Affaires étrangères. Toutefois, on a refusé son dossier. C’était probablement à cause de son rapport à la famille royale. Parallèlement, son patron, ainsi que les responsables à Karnak, étaient satisfaits de son travail et ont décidé de l’embaucher pour la réservation de billets. Quelque temps après, il a travaillé au bureau de la compagnie MEA (Middle East Airlines) à Rome. C’était une bonne occasion pour suivre des cours particuliers avec le célèbre ténor Achille Braschi ».

De 1964 à 1968, Kami a vraiment appris cet art élitiste. Avec Braschi, il a découvert comment chanter sans épuiser la voix, comment monter sur scène en ayant du charisme.

Les chants de Kami lui ont valu une reconnaissance internationale, notamment le troisième prix mondial de chant lyrique italien, en 1969, le quatrième prix mondial en 1973 et un prix du Japon en 1976. Il a également reçu le premier prix au Festival de musique olympique de Séoul, au sud du pays. Corée en 1988.

L’une des réalisations les plus importantes de Kami dans le monde de l’opéra a été l’organisation du plus grand spectacle d’Aida au pied des pyramides de Guizeh en septembre 1987. Une première sur ce site splendide, l’événement a vu la participation de 1 600 artistes sur une scène spécialement construite pour le but, mesurant 4 300 mètres carrés. L’opéra a été présenté huit soirées de suite, attirant 27 000 spectateurs. L’année suivante, Kami organise une autre représentation d’Aïda, cette fois au légendaire temple Hatshepsout de Louxor.

En 1977, Kami joue son premier rôle au cinéma dans la comédie romantique «Gounoun al-Hobb» (L’engouement pour l’amour) de Nader Galal. Il a également joué à la télévision et au théâtre où sa présence géniale lui a valu l’amour du public. Son dernier rôle dans le film était dans «Qodraat Gheir Adiya» (2015).

Kami était propriétaire et directeur de la librairie L’Orientaliste du Caire, un petit espace rempli de livres rares et anciens, de cartes et de photographies. Son épouse, Nagwa Kami, faisait partie des personnalités importantes de L’Orientaliste; sa mort soudaine en 2012 l’a dévasté.

Le dernier travail de Kami sur la scène musicale égyptienne a été le fer de lance du premier festival de musique classique en Égypte, le «Festival du palais de Manial: faire revivre le patrimoine par la musique», qui s’est déroulé du 1er au 9 novembre. Le fait qu’il soit président du conseil d’administration de l’association des amis du palais de Manial a aidé; Le palais a été construit au début des années 1900 par le prince Abbas Helmy, petit-fils d’Abbas Helmy II, dernier Khédive d’Égypte, et oncle du roi Farouk, monarque égyptien de 1936 à 1952.

La ministre égyptienne de la Culture, Inas Abdel-Dayem, a fait un profond deuil à Kami, affirmant que la scène artistique égyptienne avait perdu l’un de ses piliers et que sa contribution à l’opéra et au théâtre était mémorable. Elle a dit qu’on se souviendra toujours de Kami pour sa nature généreuse et tolérante; il fut le parrain de nombreux jeunes chanteurs d’opéra à qui il prodigua soins et conseils.

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