Nobel de la paix 2018 au Congolais Denis Mukwege et à la Yézidie Nadia Murad

11-10-2018 02:20 PM


C’est un prix Nobel de la paix très symbolique et très fort qu’a décerné le vendredi 5 octobre 2018 le Comité Nobel norvégien, puisqu’il récompense deux personnes très impliquées dans la lutte contre les violences faites aux femmes en temps de guerre, le Congolais Denis Mukwege et la Yézidie Nadia Murad.

Denis Mukwege, gynécologue congolais, vient en aide depuis de nombreuses années déjà aux femmes victimes de viols. En 1999, il a notamment créé un hôpital à Panzi, en République démocratique du Congo, où plus de 50 000 femmes ont été prises en charge.

Reconnu au niveau mondial comme un expert dans le domaine de la réparation des dommages physiques causés par les violences sexuelles, il tente de faire reconnaître le viol comme une arme de guerre. Pour la présidente du Comité Nobel norvégien Berit Reiss-Andersen, le médecin est « le meilleur symbole de ce combat, le plus rassembleur aussi ». Denis Mukwege avait déjà reçu le prix Sakharov en 2014 pour son combat.

Âgé de 63 ans, Denis Mukwege, natif de Bukavu, dans l’est de la RDC, et fils d’un pasteur protestant, est l’une des figures les plus emblématiques de la société civile de son pays. S’il a démarré ses études à Kinshasa, c’est au Burundi qu’il a suivi ses études de médecine, avant de se former en France. Au début des années 1990, il décide de revenir exercer dans le Sud-Kivu, à l’hôpital de Lemera, dont il devient médecin-directeur. En 1996, alors que la guerre débute, ses patients sont systématiquement massacrés et l’hôpital détruit.

Après un exil au Kenya, il revient de nouveau en RDC, à Bukavu, où il fonde l’hôpital de Panzi, avec l’aide financière de la Suède. Le combat qu’il mène depuis plus de vingt ans contre les violences sexuelles et le viol utilisé comme arme de guerre par les groupes armés qui déchirent l’est de la RDC, a fait de lui l’une des figures emblématiques de la société civile congolaise. Le gynécologue devient « l’homme qui répare les femmes », titre d’un ouvrage que la journaliste belge Collette Braeckman lui consacre en 2012.

Il porte son combat dans les instances internationales, et n’hésite pas à pointer la responsabilité des autorités congolaises dans la situation sécuritaire dont les femmes sont les premières victimes. Lorsqu’il prononce pour la première fois un discours aux Nations unies, en 2006, il lance : « Invité à m’exprimer devant l’Assemblée générale des Nations unies, je constate que tous les ambassadeurs sont présents, sauf un : le représentant de mon pays ».

Lauréat de plusieurs distinctions internationales, dont le prix Sakharov en 2014, Denis Mukwege utilise également son influence internationale pour faire écho à la situation politique de la RDC. En juillet dernier, il appelait ainsi les Congolais « à lutter pacifiquement » contre le régime du président Joseph Kabila plutôt que de miser sur les élections prévues le 23 décembre « dont on sait d’avance qu’elles seront falsifiées ».

De son côté, Nadia Murad, lauréate du prix Sakharov 2016 pour la dignité des survivants de la traite des êtres humains, est ambassadrice de bonne volonté de l’Office des Nations Unies pour la lutte contre la drogue et le crime (ONUDC).

Cette jeune femme yézidie de 23 ans, qui a survécu au trafic de Daech, a pu saluer le Pape François à l’occasion de l’audience générale le 3 mai 2017. Nadia a raconté au Pape l’histoire de son enlèvement dans le village de Kocho, dans le nord de l’Irak, le 3 août 2014. Ce jour même elle a vu mourir ses six frères et sa mère. A noter qu’en 2014, l’organisation Etat islamique a pris le contrôle d’une partie du territoire irakien et ciblé particulièrement la communauté yézidie, jugée hérétique. Les djihadistes tuaient les hommes et kidnappaient des milliers de femmes pour en faire des esclaves sexuelles.

Après avoir été emmenée avec deux sœurs de force à Mossoul, la « capitale » irakienne de l’EI, Nadia Murad a été vendue, revendue, violée et torturée, encore et encore. Avec le concours d’une famille musulmane de la ville, elle parvint, comme de trop rares jeunes femmes yézidies, à échapper à ses bourreaux. Elle traversa les lignes de front et trouva refuge au Kurdistan irakien, où des centaines de milliers de yézidis de la région de Sinjar étaient déplacées.

Les moins fortunés vivaient dans des camps de tentes. Les autres s’installaient dans les villes de la région. Mais la grande majorité partageaient le même et unique espoir, celui d’obtenir un statut de réfugié, afin de se rendre en Europe et de laisser définitivement derrière eux la terre qui les a engloutis.

Certains, toutefois, s’organisèrent. A Dohuk, une ville kurde située au nord de Mossoul et dans les environs de laquelle de nombreux yézidis étaient réfugiés, des militants originaires de Sinjar, jeunes pour la plupart, fondèrent l’association Yazda en 2014, avec le soutien d’activistes américains. Nadia Murad se rapprocha d’eux. Elle devint bientôt, avec le soutien de Yazda, le visage de la communauté.

L’organisation s’illustra par son indépendance. Elle tint tête aux autorités du Kurdistan irakien, qui tentèrent de limiter ses activités, celles-là même qui étaient censées protéger Sinjar et qui ont abandonné les yézidis à leur sort en août 2014, rendant possibles les horreurs endurées par cette communauté. Loin de faire amende honorable, elles misaient sur le martyre des yézidis, eux-mêmes de langue et de culture kurdes, pour attirer la sympathie de la communauté internationale.

Yazda poussa Nadia Murad à devenir la porte-parole des femmes yézidies. Inlassablement, elle fit sienne la mission de rappeler au monde que des milliers d’entre elles restaient en captivité, souvent avec leurs enfants.

Comme de nombreux yézidis, Nadia Murad s’installa en Allemagne et commença à intervenir dans les plus grandes instances internationales. En décembre 2015, elle s’exprima devant le Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) et exhorta les gouvernements du monde à prêter attention aux souffrances des siens et en particulier au sort des femmes et des enfants yézidis disparus après avoir été enlevés par l’EI.

Certaines, comme Nadia Murad, sont arrivées à sortir de l’horreur. Mais la reconstruction de ces femmes est extrêmement difficile car elles sont souvent considérées comme salies aux yeux de leur communauté. Nadia Murad a eu « le courage hors du commun de raconter au monde se propre souffrance et de parler pour toutes les autres victimes », a souligné la présidente du Comité Nobel.

La présidente du Comité Nobel Berit Reiss-Andersen a conclu en affirmant qu’ « un monde plus pacifique ne pouvait être obtenu sans la reconnaissance et la protection dans les conflits des droits fondamentaux des femmes ».

Les Nations unies ont tout de suite salué une annonce « fantastique », qui « aidera à faire avancer le combat contre les violences sexuelles comme arme de guerre dans les conflits ».

Le président irakien, le Kurde Barham Saleh, élu le 2 octobre, a déclaré que le prix Nobel de la paix était « une fierté pour tous les Irakiens », mais que dans les camps de tentes – où l’hiver est rude et l’été épuisant – les yézidis déplacés rêvent toujours d’Europe.

Dans chaque famille de cette communauté, désormais dispersée aux quatre vents de l’exil, subsiste à jamais le souvenir d’un enfant enlevé et jamais retrouvé, d’un viol, d’une torture, d’une maison en ruine, du cadavre d’un être aimé, d’un pays perdu qu’aucune distinction, aussi prestigieuse soit-elle, ne rendra.

(Visited 30 times, 1 visits today)

commentaires

commentaires