Satoshi Miyagi a ré-enchanté la cour d’honneur avec sa version de la tragédie de Sophocle repeinte aux couleurs du Japon, en ouverture du Festival de théâtre et de danse d’Avignon.
C’est en visitant le palais des Papes – lieu historique du pouvoir chrétien – que Miyagi eut l’intuition soudaine qu’il fallait y monter Antigone. « Quand le festival nous a offert de jouer dans la cour d’honneur du palais des Papes, j’ai pensé que la pièce la plus adaptée à ce lieu était Antigone », a-t-il souligné à cet égard”.
Antigone a fait l’ouverture jeudi 4 juillet de la 71e édition du festival d’Avignon. Cette version japonaise de la pièce de Sophocle jouée, jusqu’au 12 juillet, a proposé un décor spectaculaire.
Une gigantesque nappe d’eau recouvrait la scène de la cour d’honneur et offrait mille reflets ondoyants sur les impressionnants murs médiévaux du palais des Papes. De lourds rochers émergeaient de la surface liquide. Les lumières et les ombres balayaient l’espace. Les éléments semblaient curieusement se répondre, après un court prologue plein d’humour où les acteurs japonais résumaient en français l’action… Le Japonais Satoshi Miyagi, 58 ans, s’est emparé avec respect et fascination mêlées de l’Antigone de Sophocle (vers 441 av. J.-C.) pour en faire une ode à la vie, à l’amour; à la paix des âmes et des corps dans la cité antique comme dans celle d’aujourd’hui.
Le metteur en scène a fait jouer deux acteurs pour chaque personnage de la pièce. Ainsi y a-t-il l’Antigone qui parlait, assise immobile dans l’eau, et celle qui, sans un mot, une longue perruque blanche encadrant son mince visage fantomatique, la comédienne Micari, saisissante, incarnait le rôle de la seule puissance de ses gestes sur un rocher. Et il en était de même pour sa sœur Ismène, son fiancé Hémon et son oncle, le roi Créon, tous vêtus d’aériens costumes de voile blanc et de théâtrales coiffures immaculées, silhouettes à la fois proches des samouraïs et des grands héros shakespeariens. C’est la manière de l’artiste japonais de pratiquer pareille séparation entre verbe et corps, pareil dédoublement dans la conduite du personnage.
L’histoire, vieille de 2 500 ans, est connue: elle raconte comment Étéocle et Polynice, les fils d’œdipe et de Jocaste, se disputant le pouvoir de Thèbes, s’entretuent dans un combat fratricide. Comment le nouveau maître de la cité, Créon, leur oncle, désigne le premier comme un héros digne d’officielles funérailles, et le second, comme un traître dont la dépouille, indigne d’une sépulture, sera abandonnée aux bêtes. Quiconque prétendra contrevenir à ce décret sera puni de mort. C’est compter sans la révolte et le refus de cet ordre injuste par leurs deux sœurs, Ismène et, surtout, Antigone. Passant outre, cette dernière enterre Polynice, le maudit. Malgré l’intervention et les prédictions de Tirésias, elle sera punie, murée à jamais dans une caverne.
Tout l’art de Satoshi Miyagi était de repeindre cette tragédie de couleurs nouvelles. Il faisait fi des scories et des poncifs, de la traditionnelle opposition entre les « bons » et les « mauvais »,
Marquée au sceau de l’enseignement d’un bouddhisme affirmant la volonté d’aimer tous les humains sans jamais les diviser, de réconcilier la mort et la vie, son Antigone balayait les certitudes, effaçait les frontières entre le Bien et le Mal, les « gentils » et les « méchants », par essence: La réalité étant plus complexe, enfouie dans la vérité des êtres, dépassant, et de loin, la simple opposition entre le devoir et la loi, la morale des hommes et celle de l’État.
Ce classique ne cessera pas de vivre tant qu’il y aura de nouveaux artistes pour le présenter et le représenter. Par sa mortalité, Antigone a atteint l’éternité. C’est l’histoire de celle qui est devenue un symbole d’acceptation et d’affirmation de soi. C’est l’histoire d’un rêve qui devient réalité.
Miyagi eut l’intuition soudaine qu’il fallait monter Antigone au palais des Papes, et surtout ces temps-ci, dans un monde envahi de tueries, où chaque partie définit son propre camp comme étant du côté de Dieu, et celui de l’ennemi, du côté du Diable. Cette vision binaire entretenant la guerre indéfiniment me semble appartenir surtout aux grands monothéismes (chrétienté, judaïsme, islam). Cette partition entre bons et méchants n’a pas cours dans le bouddhisme japonais où les “diables” ne s’emparent pas des hommes de manière définitive. Elle n’existe pas non plus dans la Grèce antique, dont le réalisateur se sent proche. Peut-être le monde devrait-il enfin définir l’être humain de manière plus ambiguë. Ne plus séparer les hommes de manière exclusive entre noirs et blancs mais les voir en gris. C’est le message d’Antigone : Polynice est le frère qui a trahi Thèbes et mené les Argiens contre sa cité, mais il a droit au rituel des morts, quoi qu’il ait fait… C’est aussi celui que la sagesse orientale de Satoshi Miyagi apporte à Avignon.
Antigone fait l’ouverture du festival d’Avignon
15-07-2017 12:08 PM

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