Comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe

30-03-2017 01:52 PM


L’Américain Joseph Stiglitz figure parmi les Prix Nobel d’économie qui ont très tôt dénoncé l’irréalisme de la monnaie unique, aux côtés de son compatriote Paul Krugman et du Français Maurice Allais (disparu en 2010).
Il revient à la charge avec un ouvrage dense et lumineux, dont le titre est à lui seul tout un programme. Notons que ce titre s’apparente à celui de notre propre analyse, publiée dès 2014: Comment la monnaie unique tue l’Europe !
Était-il pertinent d’instaurer une monnaie unique dans un cadre aussi hétérogène que l’Europe ? Est-il pertinent de poursuivre l’expérience contre vents et marées ?
Pour ses partisans, il n’est plus temps d’argumenter  : l’euro a été conçu il y a un quart de siècle ; il est né il y a quinze ans ; c’est la seule monnaie qu’ont connue les jeunes Européens ; on ne saurait le remettre en question. D’ailleurs, les Grecs eux-mêmes ont préféré en 2015 le déshonneur, le reniement et une mort lente et douloureuse à une sortie de la zone euro !
À trop se voiler la face et refuser tout débat sur la monnaie unique, les démocrates français et européens se privent des solutions qui pourraient sortir l’Union européenne du gouffre où elle est tombée. En France, ce faisant, les partis de gouvernement ouvrent un boulevard à l’extrême droite qui ne craint pas de dénoncer le lien de causalité entre la monnaie unique, les souffrances des classes populaires et la perte de souveraineté de la « Grande Nation ».
Joseph Stiglitz ne dit pas autre chose dans sa préface : « Rien n’impose que l’Europe soit crucifiée sur la croix de l’euro : l’euro peut fonctionner. Les principales réformes nécessaires sont à entreprendre dans la structure même de l’union monétaire, pas dans les économies des pays membres ».
C’est un propos dur à encaisser pour les candidats à la présidence de la République française qui ne prônent rien de plus qu’une cure d’austérité et font l’impasse sur une remise à plat de la monnaie unique. Il est vrai qu’ils doutent avec raison de pouvoir en convaincre l’Allemagne, grande gagnante de la monnaie unique…
 « L’euro a été conçu avec un mélange de mauvaise science économique et d’idéologie perverse, observe l’auteur. C’était un système qui ne pouvait pas fonctionner longtemps. Au moment de la Grande Récession [2008-2011], ses défauts sont devenus flagrants aux yeux de tous. »
Pour Joseph Stiglitz, l’échec de l’euro est manifeste en ce qu’il a accru les inégalités entre les pays membres au lieu de les résorber comme le croyaient ses thuriféraires, les mêmes qui aujourd’hui prophétisent l’échec du Brexit et nous assurent que la fin de l’euro aboutirait à l’Apocalypse : « L’euro a conduit à une aggravation de l’inégalité. C’est un argument central de ce livre : l’euro a creusé le fossé. Avec lui, les pays faibles sont devenus encore plus faibles et les pays forts encore plus forts : par exemple, le PIB de l’Allemagne représentait 10,4 fois celui de la Grèce en 2007, mais 15 fois en 2015. » À ceux qui daubent sur les faiblesses congénitales des Grecs, il rappelle que le pays avait, avant l’euro, la croissance économique la plus forte de l’Union européenne…
Résultat : jamais depuis 60 ans les liens entre les pays de l’Union européenne n’ont été aussi conflictuels. En Grèce, on affuble les portraits de la chancelière Merkel d’un casque à pointe et de croix nazies ; en Hongrie, on bafoue allègrement les principes fondateurs de l’Union et en France comme aux Pays-Bas, on se lamente sur les progrès de l’extrême droite. L’euro est devenu un facteur de tensions, sinon de guerre, au contraire de ce pourquoi on l’avait créé.
Il ne faut pas en chercher trop loin les raisons : « On a tenu à ne pas organiser la zone euro comme un espace où les pays forts seraient censés aider ceux qui ont un problème temporaire. Ce choix a peut-être un certain attrait aux yeux d’électeurs égoïstes [on pense bien sûr aux vieux épargnants allemands]. Mais sans un minimum de partage des risques, aucune union monétaire n’a la moindre chance de fonctionner. »
Joseph Stiglitz insiste : la zone euro était viciée dès sa naissance. Des hommes politiques comme François Mitterrand, dépourvus de toute réflexion sur l’économie, ont cru de bonne foi qu’en imposant une monnaie unique, on déboucherait sur une intégration politique. C’est un contresens historique : tout État souverain est doté d’une monnaie qui lui est propre, mais cette monnaie résulte de la constitution de l’État et d’une solidarité entre tous ses habitants ; ce n’est pas la monnaie qui crée l’État mais l’État qui crée la monnaie. En France par exemple, le renforcement de la monarchie aux XIVe-XVe siècles a entraîné l’élimination de toutes les monnaies seigneuriales au profit de la monnaie à l’effigie du roi. Au contraire, l’Allemagne éclatée en principautés autonomes a dû attendre l’intervention musclée de Bismarck pour se doter d’une monnaie unique.
L’autre reproche de Joseph Stiglitz aux fondateurs de l’euro concerne leur foi aveugle dans les marchés, selon une idéologie dite « néolibérale » : « Ces fanatiques du marché étaient convaincus, par exemple, que, si l’État faisait en sorte que l’inflation soit faible et stable, les marchés garantiraient la prospérité et la croissance pour tous. »

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