La Turquie marginalisée par la Russie sur le terrain syrien

14-02-2016 04:40 PM



L’implication militaire russe dans le conflit syrien a changé la donne en Syrie au détriment de l’opposition et aussi des pays qui la soutiennent.
De l’aveu même de plusieurs diplomates, l’intervention militaire de la Russie a totalement bouleversé l’échiquier syrien. Le régime de Bachar el-Assad ne peut plus tomber par la force.
La stratégie russe porte aussi un coup sévère aux pays qui soutiennent l’opposition. Les Européens redoutent un nouvel afflux de réfugiés sur leur sol, la Turquie s’inquiète de la progression des Kurdes dans le nord de la Syrie et l’Arabie saoudite s’affole de voir l’Iran affirmer sa puissance régionale dans son soutien à Bachar el-Assad. Une page se tourne pour ces pays qui espéraient le départ du dirigeant syrien et qui constatent aujourd’hui leur échec. Les Américains pensent qu’il n’y a pas d’issue en Syrie sans la Russie.
Les Etats-Unis étudient actuellement un plan concret que leur a présenté la Russie pour résoudre le conflit syrien, a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov.
Les grandes puissances ont tenté jeudi de discuter d’une improbable solution au conflit syrien malgré la poursuite de l’implacable offensive du régime et de son allié russe qui a fait des centaines de morts et provoqué un exode massif.
Les principaux acteurs se retrouvent à Munich moins de deux semaines après la suspension de négociations initiées par l’ONU avec le régime et l’opposition. La reprise de ces pourparlers, prévue le 25 février, semble déjà compromise puisque l’opposition l’a conditionnée mercredi à une levée par le régime des sièges des villes tenues par les rebelles et l’arrêt des bombardements. Entretemps, la Russie a fait face au Conseil de sécurité de l’ONU à des pressions de la France et la Grande-Bretagne pour cesser ses bombardements mais a une nouvelle fois rejeté les critiques occidentales.
Moscou a annoncé son intention de présenter des idées sur un éventuel cessez-le-feu à l’occasion de la réunion de Munich, sans toutefois donner de détails. Les pressions se sont accentuées dans le même temps sur la Turquie pour qu’elle ouvre sa frontière aux quelque 30.000 personnes ayant fui les zones de combat dans le nord de la Syrie.
Ces civils, pour la plupart des femmes et des enfants, vivent dans des camps saturés à proximité du poste-frontière d’Oncupinar, fermé depuis des mois.
Médecins sans frontières (MSF) a averti mercredi que le système de santé dans cette région, déjà dévasté, était “proche de l’effondrement”.
Des camions venus de Turquie ont de nouveau traversé mercredi la frontière pour transporter de l’aide aux Syriens.
Mais Ankara n’entend pas, pour le moment, ouvrir l’accès aux déplacés, affirmant accueillir déjà 2,7 millions de réfugiés syriens.
 
A la frontière turco-syrienne, un scénario de cauchemar se profile : 30 000 réfugiés sont massés au poste frontière de Bab Al-Salama, côté syrien, face au poste turc d’Oncupinar, pour l’heure fermé. Des dizaines de milliers d’autres déplacés sont sur les routes, cherchant à échapper à l’encerclement d’Alep en cours de réalisation. La Turquie qui héberge déjà 2,5 millions de Syriens, menace de crouler sous l’afflux des réfugiés.
Soumise à une pluie de missiles russes, la principale route d’approvisionnement des insurgés syriens depuis la Turquie est coupée. Une seule artère de communication demeure ouverte, celle qui mène de Reyhanli (Turquie) vers la Syrie, via le poste frontière de Bab Al-Awa. C’est par là que les armes, les combattants, la nourriture et les médicaments arrivent encore à passer, mais pour combien de temps ?
Spectatrice impuissante de la phase finale du plan déclenché en septembre 2015 par la Russie pour remettre en selle son protégé Bachar Al-Assad, la Turquie se retrouve soudain évincée du terrain syrien. L’avancée des troupes loyales au régime de Damas, qui a redoublé en intensité grâce à l’écran de fumée diplomatique déployé par les Russes à Genève, est une déconvenue majeure pour le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui a fait du renversement de M. Assad l’alpha et l’oméga de sa politique étrangère.

La pilule est amère pour M. Erdogan qui, depuis le début du conflit syrien, n’a pas ménagé son soutien à la rébellion anti-Assad, misant sur la chute du tyran, longtemps donnée par lui comme imminente. Dépourvue de leviers d’action en Syrie, la Turquie est désormais réduite à regarder les rebelles qu’elle protège – entre autres, les Turkmènes de Bayirbucak et les djihadistes du Front Al-Nosra – se faire pilonner par l’aviation russe, tandis que les relations avec le grand voisin du Nord ne cessent de se dégrader. Moscou a accusé Ankara, jeudi, de préparer une intervention militaire en Syrie. « Cette assertion m’a bien fait rire », a confié le président Erdogan lors de sa visite à Dakar. Liée par son appartenance à l’OTAN, la Turquie a fait savoir qu’elle ne pouvait rien entreprendre en Syrie sans l’aval de ses alliés.
La dernière bisbille aérienne a servi de prétexte au Kremlin pour déployer en Syrie quatre de ses nouveaux chasseurs Su-35, chargés d’escorter les bombardiers pour les rendre plus efficaces en améliorant leur champ de vision. Les systèmes russes de défense antiaérienne S-400 installés dans le nord de la Syrie après l’incident de novembre 2015, ont eu pour effet, de facto, de clouer la chasse turque au sol.

Côté turc, la paranoïa est à son comble. La question syrienne est une obsession existentielle pour la Russie.
Pas besoin de déclarer la guerre pour affaiblir l’ennemi héréditaire. Le déferlement de quelques millions de réfugiés supplémentaires devrait suffire à déstabiliser la Turquie et, par ricochet, l’Union européenne qui redoute tant leur arrivée sur son se Kremlin fait d’une pierre deux coups.
Pour prendre sa revanche sur Ankara et sur les Occidentaux, le président russe, Vladimir Poutine, a en outre une carte de choix entre les mains, celle du Parti de l’Union démocratique (PYD), la formation « marxiste » des Kurdes syriens, traditionnellement nostalgiques de l’URSS.
Le 2 février, le PYD a annoncé l’ouverture à Moscou d’une représentation. Avec l’apparition de cette « ambassade » kurde en Russie, le Kremlin fait d’une pierre deux coups. Il attise le mécontentement des autorités turques, promptes à voir le PYD comme une filiale du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), l’ennemi numéro un d’Ankara depuis 1984. Mieux encore, un coin est enfoncé dans la relation turco-américaine, d’ores et déjà mise à mal par les divergences de vues à propos du PYD, lequel est perçu comme un allié fiable des Occidentaux dans la lutte contre l’Etat islamique.
Les combattants kurdes syriens (YPG) brûlent de faire la jonction entre les deux cantons « autonomes » kurdes (Kobané et Djeziré), qu’ils contrôlent déjà à l’est de l’Euphrate, et celui d’Afrine, la troisième entité kurde dans la province d’Alep où 10.000 nouveaux réfugiés viennent d’affluer. Une concession que Moscou, maître du jeu en Syrie, ne peut leur refuser.

 

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