Accord historique sur le nucléaire iranien

16-07-2015 02:07 PM

Karim Felli


Après douze ans de négociations, les grandes puissances de la communauté internationale et l’Iran ont finalement atteint mardi dernier un compromis sur le programme nucléaire de Téhéran.
C’est en 2002 que la communauté internationale commence à suspecter l’Iran de vouloir se doter de l’arme nucléaire, et s’en inquiète. Un dissident iranien, Alireza Jafarzadeh, révèle la construction, dissimulée par Téhéran, d’un site d’enrichissement d’uranium à Natanz et d’une installation d’eau lourde à Arak. Ces dissimulations, confirmées par des images satellite, conduisent les Américains à accuser les autorités iraniennes de mettre au point secrètement « des armes de destruction massive », dans un contexte post-attaques terroristes du 11 septembre 2001. Des inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) confirment ces craintes.
Pendant les années suivantes, l’Iran poursuit ouvertement le développement de son programme et n’hésite pas à faire de la provocation, comme quand son président Mahmoud Ahmadinejad annonce en 2006 que « l’Iran a rejoint les pays nucléaires », tout en assurant qu’il restera cantonné à un usage civil.
Pourquoi le nucléaire ?
La volonté de se doter de l’arme nucléaire est avant tout le résultat de la guerre contre l’Irak (1980-1988), qui a beaucoup marqué le nouveau régime iranien issu de la révolution islamique de 1979. La montée en puissance militaire d’Israël, son grand ennemi, motive également Téhéran et ses alliés, la Syrie et la Libye, à se doter de l’arme nucléaire, à partir de 1985. Cette démarche peut aussi se voir comme une volonté de se hisser dans la « cour des grands », celles des pays dotés de la puissance nucléaire, afin de peser davantage sur les scènes régionale et mondiale.
Droit de s’en doter 
Le civil, oui. Le militaire, non. En pratique, le nucléaire civil consiste à enrichir de l’uranium naturel dans des proportions relativement faibles (on parle d’enrichissement allant de 3 à 5 %), mais suffisantes pour pouvoir provoquer une réaction fissile au sein des réacteurs d’une centrale nucléaire, et créer de l’énergie. L’Iran a d’ailleurs déjà une centrale nucléaire à usage civil sur son territoire, à Bouchehr, dans le sud du pays, et prévoit d’en construire une seconde à Darkhovin, près de la frontière irakienne.
Le nucléaire militaire consiste, lui, à enrichir l’uranium à hauteur de 90 % selon un procédé plus complexe, plus long et plus coûteux. Son utilisation est strictement encadrée par le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 1968 – entré en vigueur en 1970 – qui réserve son utilisation à cinq pays : Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Chine et URSS/Russie. L’Iran, qui a signé et ratifié ce traité, a donc le droit d’enrichir de l’uranium uniquement à des fins civiles, à condition d’accepter la supervision internationale de l’AIEA.
 
 
Douze ans de négociations 
Les premières négociations visant à convaincre l’Iran d’abandonner son programme nucléaire ont commencé en 2003, à l’initiative de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni (un groupe dit UE-3).
Après une période de coopération, les négociations se tendent en 2005 avec l’élection du président Mahmoud Ahmadinejad, qui adopte une ligne dure et revendique le droit de développer un programme nucléaire civil. En 2006, les négociations s’élargissent aux Etats-Unis, à la Chine et à la Russie, qui, avec les trois Européens, forment le groupe « P5 + 1 » (les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies et l’Allemagne). Alors que les discussions patinent, l’Organisation des Nations unies multiplie les mises en garde contre l’Iran et les sanctions internationales pleuvent sur le pays.
Ce n’est qu’après le remplacement de Mahmoud Ahmadinejad par Hassan Rohani, en 2013, que les négociations repartent du bon pied. Il aura fallu un peu moins de deux ans après l’accord de principe de Genève, le 24 novembre 2013, pour finaliser le compromis, le 14 juillet 2015 à Vienne.
Que dit l’accord ?
L’accord, qui compte une centaine de pages, repose sur trois piliers :
§  une limitation du programme nucléaire iranien pendant au moins une décennie ;
§  une levée des sanctions internationales contre l’Iran ;
§  un renforcement des contrôles.
Le principe est de limiter le nombre de lieux à inspecter pour les contrôles, et, dans le même temps, de limiter le matériel à y inspecter en imposant des plafonds. Ce matériel, c’est l’uranium et le plutonium ; il est question de limiter l’enrichissement du premier et la production du second. Pour ce faire, la centrale à eau lourde d’Arak sera modifiée pour ne pas avoir la capacité de produire du plutonium à vocation militaire.
En échange, les sanctions économiques à l’encontre de l’Iran seront levées graduellement, notamment les avoirs gelés à l’étranger qui représentent près de 150 milliards de dollars (environ 135 milliards d’euros).
Importante nuance par rapport aux négociations de l’ère 2003-2005 : il n’est plus question de démanteler le programme nucléaire iranien, mais bien d’empêcher le développement clandestin d’un programme nucléaire militaire.
Est-ce que l’Iran n’aura pas la bombe nucléaire ?
Non. Les accords sont censés empêcher la construction d’une bombe nucléaire iranienne, mais rien n’indique que les dirigeants iraniens – actuels ou futurs – ne relancent pas, en secret, un programme militaire.
Les protagonistes de l’accord font néanmoins le pari qu’il est plus bénéfique pour l’Iran de voir la levée des sanctions internationales, le dégel progressif des avoirs bloqués à l’étranger et le réchauffement des relations avec les Etats-Unis, que de redémarrer l’enrichissement à usage militaire de matériaux fissiles. Une normalisation de la situation du pays pourrait améliorer le quotidien des Iraniens et offrir des occasions économiques pour de nombreuses entreprises internationales – et notamment françaises.

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