«Charlie Hebdo», le monde libre en deuil

10-01-2015 01:08 AM


Deuil”, “barbarie”, “terreur”, “jour noir”… Les médias français et étrangers ont affiché à la Une leur émotion, leur soutien mais aussi leur détermination après l’attentat à Charlie Hebdo.

Certains des journalistes les plus emblématiques de Charlie Hebdo ont été tués lors de la fusillade de mercredi dernier. Parmi eux : le directeur Charb ainsi que les célèbres dessinateurs Cabu, Wolinski et Tignous.

Ils étaient le symbole de “Charlie Hebdo”, le journal satirique le plus frondeur et le plus réputé de France. Charb, son directeur, Cabu, Wolinski, Tignous, ses dessinateurs les plus connus, et Bernard Maris, journaliste et contributeur régulier, ont été tués par les hommes armés qui ont attaqué mercredi 7 janvier le siège de leur publication.
Ils se savaient dans la ligne de mire des extrémistes, eux qui publiaient régulièrement des dessins humoristiques se moquant des religions – de toutes les religions. Leur journal avait déjà été la cible ces dernières années de menaces et d’un incendie criminel après la publication de caricatures de Mahomet.
En novembre 2011, malgré les menaces, Charlie Hebdo persiste et signe en publiant un numéro spécial rebaptisé “Charia hebdo” avec, en Une, la caricature d’un prophète Mahomet hilare. Il se vend à 400 000 exemplaires. Le jour de la publication, les locaux de Charlie Hebdo sont détruits par un incendie criminel. Le gouvernement parle alors d'”attentat” et pointe du doigt des “musulmans intégristes”.
Jamais, pourtant, l’hebdomadaire n’a renoncé à ce ton irrévérencieux qui avait fait sa réputation. “La seule chose qui menace la presse, c’est l’autocensure”, avait déclaré Charb à France 24, peu après l’incendie du siège de la publication.
Charb
Charb, 47 ans, de son vrai nom Stéphane Charbonnier, avait pris la direction de “Charlie Hebdo” en mai 2009 après le départ de Philippe Val. Durant sa carrière, le dessinateur a collaboré avec plusieurs titres de presse (“L’Écho des savanes”, “Télérama”, “Fluide glacial”, etc.), où il se distinguait par son ton particulièrement corrosif.
Proche du Parti communiste français (PCF) et du Front de gauche, il n’aimait rien tant que de brocarder les dérives du capitalisme à travers, notamment, ses dessins de Maurice et Pataton, duo formé par un chien et un chat se livrant à des réflexions absurdes sur l’état du monde.
Charb, tout comme le directeur de la rédaction, Riss, et le dessinateur Luz, avait été placé sous protection policière en 2011, après l’incendie criminel qui avait visé les locaux de l’hebdomadaire et les menaces proférées à son encontre.
Charb avait signé dans le dernier numéro de “Charlie Hebdo” un dessin qui trouve, mercredi, un tragique écho.
Cabu
Jean Cabut, dit Cabu, était un membre de la première heure de l’hebdomadaire satirique. Mais le caricaturiste mettait son coup de crayon, reconnaissable entre mille, au service de bien d’autres parutions, dont “Le Canard enchaîné”.
Né en 1938 à Châlons-sur-Marne, Cabu avait fait ses armes dans le quotidien régional “L’Union de Reims” et dans “Paris Match” avant d’intégrer la rédaction de la revue satirico-anarchiste “Hara-Kiri”. Antimilitariste convaincu, Cabu se fait connaître du grand public grâce à son personnage du Grand Duduche, espèce d’échalas naïf et idéaliste, ainsi que pour ses apparitions télévisées dans le programme jeunesse “Récré A2” au côté de l’animatrice Dorothée.
Anar rêveur derrière ses lunettes cerclées, le dessinateur à l’éternelle coupe au bol était un pilier de Charlie Hebdo et du Canard enchaîné. Soixante ans de carrière et plus de 35 000 dessins ont fait de lui l’un des grands caricaturistes pamphlétaires français.
Passé à Pilote, l’hebdo dirigé par René Goscinny, Cabu crée “le grand Duduche”, le cancre révolté, sympa, qui l’accompagnera tout au long de sa carrière. Son coup de maître sera son “beauf”, apparu en 1973 dans Charlie Hebdo.
Ses caricatures de Mahomet publiées en 2006 étaient parmi les plus caustiques de celles qui avaient valu à l’équipe de Charlie des menaces de mort. Ecologiste convaincu, amoureux de Paris, amateur de jazz – sa grande passion -, il était le père du chanteur Mano Solo, disparu en 2010.
L’annonce de son assassinat, mercredi, a suscité de nombreuses réactions parmi ses pairs et, plus largement, dans le monde de la culture. “C’est le caricaturiste le plus doué de sa génération, tout le monde l’imite”, a témoigné Willem, dessinateur pour “Libération”. Sa mort “laisse un vide béant dans le monde des dessinateurs de presse”, écrit “Le Monde”.
Wolinski
Georges Wolinski était à 80 ans l’une des autres légendes du dessin de presse. Il s’est fait un nom en exerçant sa plume dans Action pendant Mai-68.
Collaborateur, lui aussi, du magazine “Hara-Kiri” dans les années 1970 et 1980, Georges Wolinski, 80 ans, figurait parmi les dessinateurs les plus connus et les plus sollicités par les titres de presse. Contributeur régulier de “Paris Match” et de “Charlie Hebdo”, il a travaillé, entre autres, pour “France Soir”, “L’Humanité” et “Le Nouvel Observateur”. En janvier 2005, Georges Wolinski fut décoré de la Légion d’honneur. Cette même année, le Festival de bande dessinée d’Angoulême lui décerna un Grand Prix pour l’ensemble de sa carrière.
Tignous
Âgé de 57 ans, Bernard Verlhac, dit Tignous, dessinait pour la presse depuis 1980. Ce Parisien publiait régulièrement dans “Charlie Hebdo” et “Marianne”. Il collaborait également à “Fluide Glacial”, “L’Echo des Savanes” ainsi qu’à des émissions télévisées avec Laurent Ruquier, Marc-Olivier Fogiel ou Bruno Masure, dans lesquelles ses dessins accompagnaient les débats.
Caricaturiste et auteur de BD caustique et engagé, il traquait la folie du monde avec un humour percutant et un peu désespéré. Il taclait le capitalisme, les actionnaires et les inégalités sociales. Passionné par l’actualité, il avait retracé le procès Colonna. Son dernier livre compilait ses dessins de presse : une manière de se remémorer avec humour les hauts faits et affaires du quinquennat de Nicolas Sarkozy, à travers l’œil d’un des plus fervents détracteurs de l’ex-président de la République. Lui qui admirait le père de Corto Maltese, Hugo Pratt, avait fait paraître ses premiers dessins de presse dans “L’Idiot international”, La grosse Bertha et L’Evénement du jeudi. “Un dessin de presse, c’est super dur à réussir parce qu’il faut tout mettre dans une seule image. C’est tout le contraire de la BD”, disait-il.
Des gens sans haine
C’était des gens sans haine, qui croyaient que l’humour et l’intelligence étaient plus forts que tout.” Derrière le rire, Charlie Hebdo présentait une réflexion sérieuse sur la société. Bernard Pivot journaliste animateur d’émissions culturelles à la télévision se souvient d’eux comment des gens qui avaient “un talent extraordinaire”, “avec quelques traits, un peu d’humour, un peu d’esprit, ils en disent souvent beaucoup plus qu’un éditorial ou même un livre”, ajoute-t-il. C’étaient des gens qui donnaient de la lumière aux autres. Cabu, Tignous, Wolinski et Charb laissent aujourd’hui orpheline la grande famille des dessinateurs.
Charlie Hebdo n’est pas mort. Une édition de 8 pages sortira en kiosques mercredi prochain et sera tirée à un million d’exemplaires.

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