«Nagasaki» livre insolite sur l’absurdité du réel

15-12-2011 09:06 AM


Le Grand prix du roman de l’Académie française a été décerné   à Eric Faye pour “Nagasaki”, livre insolite sur le temps, la solitude et l’absurdité du réel qui transporte le lecteur au Japon, loin des premières amours littéraires de l’auteur, l’Albanie et Ismail Kadaré.


Eric Faye a été choisi “au troisième tour de scrutin, par 9 voix contre 6 à Maylis de Kerangal pour  “Naissance d’un pont “, a annoncé Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’Académie française.Celle-ci a précisé que le jury avait été séduit par l’originalité du roman d’Eric Faye. L’auteur se dit « surpris, très impressionné et honoré. C’est une étape importante pour moi, qui va me donner du courage pour continuer. Mais je n’imagine pas de vivre sans écrire ». En ce moment, j’écris des récits de voyages. Je suis allé cet été en Sibérie, j’aime les endroits peu fréquentés”, ajoute-t-il.


Né en 1963 à Limoges, Eric Faye, journaliste à l’agence Reuters, a publié une vingtaine de livres en près de vingt ans, oscillant entre nouvelles, essais, récits de voyage et romans.


Il est entré dans le monde des lettres par le pays des Aigles, avec un essai en 1991 sur l’écrivain Ismail Kadaré et, la même année, des entretiens avec cet auteur albanais, le plus connu à l’étranger.


Deux ans plus tard, il publie un autre essai “Dans les laboratoires du pire” puis, en 1995, son premier roman, “Le Général Solitude”. En 1998, son recueil de nouvelles fantastiques, “Je suis le gardien du phare” obtient le prix des Deux Magots.


En 1999, son roman d’anticipation “Croisière en mer des pluies” remporte le prix Unesco-Gallimard. De 1982 à 2005, il effectue de nombreux voyages à travers l’Europe et l’Asie, qu’il racontera dans “Mes trains de nuit”.


L’an dernier, il a livré un récit autobiographique, “Nous aurons toujours Paris”, sur son enfance, sa jeunesse et les déclics de sa vocation d’écrivain.


Fait divers japonais


L’histoire de “Nagasaki” est inspirée d’un fait divers très japonais. D’une centaine de pages, « Nagasaki » est un livre court, à l’image d’un titre à la simplicité énigmatique, mais il évoque densément et avec une grande justesse le Japon contemporain. Shimura, « l’homme des masses », est un climatologue quinquagénaire et célibataire, vivant dans une maison de l’agglomération de Nagasaki, ville meurtrie pendant la Seconde Guerre Mondiale. Tous les matins, il prend le tram à la même heure, la panne de l’air conditionné l’énerve et le chant strident des cigales l’indispose.


 Le récit débute comme une nouvelle kafkaïenne et bâtit peu à peu une atmosphère fantastique.Shimura est un homme ordonné, qui quitte chaque matin sa vaste demeure face aux chantiers navals de Nagasaki pour la station météo locale, déjeune seul et rentre tôt le soir dans son antre.


Au fil des semaines, Shimura a l’intuition grandissante qu’un être habite sa maison et se sert dans son garde-manger : « quelle déité exigeait pour offrande un yaourt, une prune confite ou du riz aux algues ?». Guerrier ninja ou esprit des lieux, la forme s’évanouit toujours aussi vite qu’elle est apparue et les premières pages transpirent ce fin sentiment d’inquiétude amusée.


« Nagasaki » raconte une impossible rencontre, dans une ville moderne : Shimura ausculte et épie ses voisins autant qu’il est attentif aux bruits intempestifs de sa maison. Chez lui, il installe un dispositif de webcam lui permettant de surveiller sa salle à manger depuis son lieu de travail, un open space où chaque salarié est sous le regard des autres. Pris dans ces jeux de miroir réels ou fantasmés, Shimura se demande s’il est pour cet inconnu vivant dans sa maison une star malgré lui, comme certains acteurs de téléfilms médiocres, qui atteignent pourtant plusieurs milliers d’amis sur le réseau Facebook.
Il finit par apercevoir l’intruse. Mais est-ce une hallucination ? Un fantôme de ses échecs amoureux passés? Shimura est tout chamboulé. Et c’est le point de départ d’une réflexion sur la solitude, l’individualisme forcené, les racines, l’Histoire et la notion de chez-soi.


Il “s’interroge sur la vie qu’il aurait pu mener s’il avait été marié, s’il avait suivi un autre chemin que celui de la solitude”, souligne l’auteur.


Le quinquagénaire appelle cependant la police qui embarque la clandestine.


L’enquête dévoilera qu’elle avait trouvé refuge chez lui après une longue errance.



Le roman est ce monologue intérieur, tout à fait clair et limpide. Pour le lecteur , il allie le plaisir et la lenteur de l’évocation japonaise et l’ironie vis-à-vis des travers d’une postmodernité toujours en perte de sens. Eric Faye renouvelle ainsi le thème littéraire et psychanalytique du double en faisant du climatologue et de l’être mystérieux un couple romanesque, au sein duquel la communication est toujours indirecte.


 

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