L’islam politique triomphe, pour le moment

15-12-2011 09:07 AM


– La victoire du parti islamiste Ennahda en Tunisie devrait se reproduire dans les autres pays du “Printemps arabe” mais l’islam politique aura des difficultés à maintenir son élan une fois au pouvoir, estiment des analystes.
“L’islam politique est le passage obligé pour les changements démocratiques dans le monde arabe”, affirme à l’AFP Khattar Adou Diab, politologue et professeur en relations internationales à l’université Paris-Sud.
“Il s’agit de la force politique la plus puissante dans le monde arabe, la mieux organisée et la mieux financée”.
“Au temps des régimes oppresseurs, la mosquée était en guerre contre le palais. Leur chute a débouché sur les résultats des élections en Tunisie et il en ira de même pour les autres pays”, ajoute M. Adou Diab.
Le premier scrutin libre de l’histoire de la Tunisie, pays qui a donné le coup d’envoi des révolutions arabes, a conféré une large victoire au parti Ennahda, laminé sous le président déchu Ben Ali. Une victoire au goût de revanche qui devrait se répéter en Egypte, où un processus électoral débute le 28 novembre.
Réprimées par des régimes “laïques” mais autoritaires, les mouvances islamiques — notamment les Frères musulmans en Egypte et en Syrie, Ennahda en Tunisie et les islamistes libyens– ont mené au fil des ans une silencieuse “révolution par le bas”, selon les politologues, grâce à la prédication et à un réseau efficace d’associations caritatives.
A l’issue des révoltes populaires auxquelles ils ont participé sans en être les porte-étendards, ils récoltent ce qu’ils ont semé, estiment les observateurs.
Ennahda a “su réactiver ses réseaux déjà existants, alors que les autres partis n’ont pas eu le temps de présenter leur programme”, affirme Agnès Levallois, spécialiste du monde arabe et auteur de “Moyen-Orient, mode d’emploi”.
“Les islamistes se sont présentés comme des personnes intègres et honnêtes parce qu’ils n’ont pas encore géré le pays, et une partie des Tunisiens ont voulu tenter cette solution. Le fait qu’ils ont été victimes leur confère une certaine légitimité”, dit-elle.
Les experts estiment qu’il s’agit d’un phénomène qui ne peut et qui ne doit pas être arrêté, pour éviter un scénario comme en Algérie.
Mais cette avancée inquiète aussi bien dans le monde arabe qu’en Occident, où l’on évoque un “automne islamiste”, voire un scénario à l’iranienne.
En Tunisie, la percée d’Ennahda fait craindre une remise en question du statut des femmes qui disposent d’un statut juridique enviable dans la région, tandis qu’en Libye, les déclarations du chef du Conseil national de transition (CNT) Moustapha Abdeljalil sur l’adoption de la loi islamique a également suscité l’inquiétude.
Toutefois, les partis islamistes montreront avec le temps leurs limites, avec l’exercice du pouvoir, estiment les experts. Ils auront nécessairement à faire des compromis et des alliances pour former des gouvernements, n’ayant pas la majorité.
“Il y aura une période de transition jusqu’à ce que les autres partis se restructurent”, dit M. Adou Diab. “Entre-temps, les gens pourraient se rendre compte que la capacité des groupes islamistes à produire des solutions miracle est une grande illusion”.
“Avant, les islamistes tiraient leur légitimité de leur lutte contre (les présidents) Moubarak, Ben Ali. Aujourd’hui, ils doivent se réinventer”, affirme Nadim Shehadé, chercheur à Chatham House à Londres.
Délivrés de leur peur, les citoyens arabes ne sont plus prêts à accepter qu’on les prive de leur liberté de choix.
“Un leader unique, un parti unique, c’est fini”, assure M. Shehadé.
“Les mouvements laïques doivent être vigilants et créer des garde-fous” face à tout risque de dérive islamiste, indique Mme Levallois.
Selon elle, les jeunes qui ont déclenché le “Printemps arabe” ne voudront surtout pas voir leurs sociétés se refermer complètement.
“Il doivent faire en sorte que les islamistes ne se croient pas en capacité de bouleverser complètement les règles du jeu de la société”.
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