L’Égypte copte

15-12-2011 09:06 AM

Marie-Hélène Rutschowscaya


  


Conservateur en chef au département des antiquités égyptiennes du musée du Louvre chargée de la section copte
Pour découvrir le passé et le présent des Coptes, le touriste averti se doit de sillonner la vallée du Nil et le désert en tous sens, là où s’installèrent les premiers anachorètes et où prit naissance l’une des formes les plus originales du christianisme antique… Et qui, mieux que Marie-Hélène Rutschowscaya, co-auteur de l’ouvrage L’Égypte copte paru en 1999 aux éditions Citadelles & Mazenod, pourrait mieux nous éclairer pour appréhender une culture originale qui vit depuis plus d’un millénaire en terre islamique ? Les chrétiens d’Égypte considèrent leur terre comme particulièrement bénie puisque, selon l’Évangile de Matthieu (II, 13-20), la sainte Famille s’y serait réfugiée pour fuir la colère d’Hérode. Les Évangiles apocryphes rapportent que leur séjour dura trois ans et demi et que les voyageurs remontèrent la vallée du Nil jusqu’au site du Deir al Moharraqa, à environ trois cent quarante kilomètres au sud du Caire. Il n’est de ce fait pas étonnant qu’une multitude de lieux commémorent la visite de la sainte Famille et que tant d’églises soient consacrées à la Vierge : c’est ainsi que l’église Saint-Serge du Caire abrite l’endroit où les voyageurs se seraient reposés ; l’église de la Vierge de Gebel et-Teir est appelée aussi la « montagne de la Main », en raison du miracle opéré par l’Enfant qui arrêta un bloc de pierre et y imprima son empreinte. Ces événements prouvent que l’Église copte remonte aux temps apostoliques. Une culture qui a su assimiler les influences égyptiennes, romaines et byzantines Le mot même « copte », qui la caractérise, provient du mot grec Aegyptios, formé sur un terme pharaonique désignant le sanctuaire de Memphis ; les conquérants grecs désignaient ainsi les habitants de la vallée du Nil. De même furent-ils appelés par les conquérants arabes à partir du milieu du VIIe siècle, néanmoins sous une forme altérée le transformant en qubti. Pour les Arabes musulmans, le mot qubti désignait tout naturellement les Égyptiens chrétiens puisque le pays était dans sa grande majorité christianisé depuis la fin du Ve siècle. Cette christianisation fut largement favorisée par l’apparition d’une écriture propre à l’Égypte dans le courant des IIIe et IVe siècles : elle est formée des lettres de l’alphabet grec auxquelles viennent s’ajouter sept signes empruntés au système hiéroglyphique, qui permettaient de transcrire les sons que le grec ne pouvait pas noter. Transcription de l’égyptien pharaonique, sa connaissance permit à J.-F. Champollion de retrouver le secret des hiéroglyphes. Avec l’arrivée des Arabes en 641, le copte sera de moins en moins parlé et deviendra une langue liturgique à partir du XIIe siècle. C’est d’ailleurs durant cette période qu’apparaissent les premiers manuscrits ornés d’abord de grandes figures monumentales en pied, influencées par la peinture murale, puis de scènes narratives à l’imitation des évangéliaires illustrés byzantins et orientaux ; à la fin du XIIe siècle, l’influence islamique devient prépondérante par l’adaptation des règles artistiques des corans, souvent rehaussés de fonds d’or et d’argent. Le témoignage le plus ancien du christianisme en Égypte remonte à 180 avec la création du Didascalée par l’évêque d’Alexandrie Démétrius, école chrétienne qui s’efforça d’allier l’Évangile à la philosophie grecque. Les vestiges de peintures chrétiennes retrouvés dans la catacombe de Karmouz à Alexandrie, datant probablement du IIIe siècle, attestent l’identité de style entre l’art romain païen et l’art chrétien à ses débuts. Comme dans le reste de l’Empire romain, il n’y eut pas de rupture dans les modes et les moyens d’expression ; si les influences pharaoniques sont difficilement perceptibles, souvent cachées d’ailleurs dans certaines particularités du rite, en revanche les influences grecques et romaines ont laissé des empreintes durables. Un rapide essor de l’anachorétisme Sa renommée se répand très vite hors d’Égypte. Le désert se peupla de moines ascètes comme saint Paul de Thèbes, saint Antoine ou saint Macaire, qui sont à l’origine de fondations monastiques anachorétiques – ermites vivant complètement isolés dans une grotte – ou semi-anachorétiques – à Kellia, Ouadi Natroun, Nitrie… Les moines habitent dans des ermitages isolés sous la direction d’un Ancien, et se réunissent régulièrement pour assister à la liturgie. Saint Pacôme crée à Tabennesê, au nord de Thèbes, la première fondation cénobitique qui ait une structure communautaire dotée d’une règle de vie commune, traduite en latin par saint Jérôme. À sa mort en 346, il existait neuf couvents d’hommes et deux de femmes. De ces premières fondations, il ne reste rien. Beaucoup ont disparu ou ont été profondément remaniées au cours des âges. Les plus anciennes structures mises au jour ne remontent pas en deçà du Ve siècle. Comme à l’époque pharaonique, les constructions profanes et civiles sont bâties en briques crues alors que les monuments religieux sont le plus souvent construits en pierre. Les Coptes n’hésitèrent pas à réutiliser des matériaux prélevés dans des monuments plus anciens ou à s’installer à l’intérieur des temples pharaoniques. C’est ainsi qu’ils utilisèrent la deuxième cour du temple de Ramsès III à Médinet Habou pour y placer une église et qu’ils construisirent une église dans l’enceinte du temple d’Hathor à Dendéra avec des matériaux pris sur le mammisi d’Auguste voisin (Ve siècle). Les fouilles de Kellia, d’Esna, de Naqloun ou de Deir el Dîk ont permis de retrouver les structures d’ermitages dont la période d’apogée se situe aux VIe-VIIIe siècles. Qu’ils soient aménagés dans d’antiques tombes ou d’anciennes carrières, creusés dans le sol (Esna) ou construits (Kellia), ils permettent de retracer une évolution. Un mode de vie de plus en plus développé et même confortable Beaucoup de monastères de type pacômien, délimités par une enceinte renfermant les cellules et les installations communes, furent sans doute, à l’origine, des structures semi-anachorétiques. Les monastères de Saqqara, de Baouit ou d’Abou Fana sont des exemples de fondations vite célèbres et fort riches, si l’on en juge par l’abondance et la qualité des décors sculptés et peints. C’est là que l’on peut d’ailleurs le mieux suivre l’évolution de l’art monastique entre le Ve et le Xe siècle. En particulier, les églises et les oratoires des cellules des moines furent recouverts de peintures où se mêlent des réminiscences de la peinture antique – scènes nilotiques, bucoliques, figures allégoriques – et des scènes bibliques de caractère plus byzantin. L’amenuisement de nombreuses communautés à partir du VIIIe siècle et les continuelles razzias de Bédouins firent disparaître un certain nombre de monastères. Cependant d’autres survécurent en les entourant de hautes fortifications et en les dotant d’un haut donjon ou kasr, dernier refuge des moines en cas d’assaut. Ainsi le patriarche Chenouda, au IXe siècle, fit fortifier le monastère de Saint-Macaire sur le modèle de Sainte-Catherine du Sinaï. C’est pourquoi bon nombre de monastères ou d’églises encore en activité – monastères du Ouadi Natroun, de Saint-Paul et de Saint-Antoine près de la mer Rouge, églises du Caire – présentent des structures caractéristiques de la période islamique – coupoles, chœur ou khurus transversal, écrans en bois… Ce fut même une période de floraison de la peinture murale qui vit l’élaboration de grands programmes iconographiques recouvrant parfois des peintures plus anciennes, dont certaines ont pu être dégagées comme dans les monastères des Syriens et de Baramous. C’est cependant l’art du textile qui demeure la production des Coptes la plus connue. L’engouement pour les tissus en lin ornés de tapisseries en laine, qui se répand dans tout l’Empire romain à partir du IVe siècle, est une mode venue d’Orient qui ouvrit la voie en Égypte à une production très florissante. Les Arabes dénommèrent les étoffes d’Égypte, les kabati, les « coptes », autre témoignage de l’habileté dans ce domaine hérité de leurs ancêtres d’époque pharaonique, passés maîtres dans la fabrication des fins tissus de lin destinés aux momies et aux dieux.


 

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