L’Egypt passe le premier test démocratique

15-12-2011 09:07 AM

Abdel Massih Felli


Un tiers des gouvernorats du pays était appelé à désigné ses députés lundi 28 et mardi 29 novembre. Cette première phase des législatives égyptiennes concernait notamment les deux principales villes du pays, Le Caire et Alexandrie. Et malgré la crainte de violences après les affrontements qui ont éclaté il y a une dizaine de jours dans plusieurs villes du pays, cette première étape électorale s’est bien déroulée. Cependant, des heurts se sont produits tard dans la soirée mardi sur la place Tahrir, faisant de nombreux blessés. Des bureaux de vote ont fermé vers 21h ce mardi. L’affluence a été moins importante en ce deuxième jour de vote comparée aux longues files d’attente observées lundi. Beaucoup de femmes et de jeunes se sont déplacés jusqu’aux urnes dans les neuf circonscriptions où 17 millions d’électeurs étaient appelés à exprimer leur choix sur deux types de listes: celles d’un parti ou d’une coalition, et celles de candidats pouvant les représenter.
Des fraudes et des irrégularités ont été signalées dans des bureaux de vote. Certains craignaient que les violences de la semaine dernière autour de la place Tahrir ne s’étendent jusqu’aux centres électoraux, mais selon les observateurs, tout s’est déroulé dans le calme. Les révolutionnaires de la place Tahrir, moins nombreux ces deux derniers jours, étaient partagés entre ceux qui avaient décidé de boycotter le scrutin et les autres qui sont allés voter mais qui sont revenus sur la place, bien décidés à exiger le départ du Conseil suprême des forces armées et le transfert immédiat du pouvoir à un gouvernement civil. Le dépouillement des votes a déjà commencé. Les résultats concernant les candidats seraient connus jedui soir. En revanche, ceux des partis ne seront dévoilés qu’à l’issue des trois phases, en janvier prochain.
Le découpage électoral distingue en effet trois régions appelées à voter successivement du 28 novembre au 11 janvier pour renouveler l’Assemblée du peuple.
Vote réligieux 
La presse note toutefois des tentatives d’intimidation de la part des islamistes. Certains quotidiens affirment que les Frères musulmans et les salafistes ont essayé “d’influencer les électeurs”.Selon Al Chourouq, des islamistes à Louxor et Assiout ont “menacé de déclarer infidèle toute personne votant pour le Bloc Egyptien”, mouvement dont le magnat copte Naguib Sawiris est le chef de file. Les islamistes en Egypte semblent se diriger vers une victoire lors de la première phase des élections. Un scrutin salué comme un succès dans un contexte politique tendu. Les Frères musulmans, force politique la mieux organisée du pays, ont annoncé que leur façade politique, le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), arrivait en tête selon les résultats préliminaires du premier tour d’un scrutin étalé sur près de quatre mois. “Les premiers résultats obtenus depuis le début du dépouillement montrent que les listes du Parti de la liberté et de la justice arrivent en tête, suivies par le parti Al Nour (salafiste) et le Bloc égyptien (coalition libérale)”, a indiqué le PLJ dans un communiqué. Le PLJ affirme avoir obtenu les meilleurs scores respectivement à Fayyoum, dans le gouvernorat de la mer Rouge (sud), au Caire et à Assiout (sud), selon le communiqué. Les resultats de mercredi portaient sur une victoire des islamistes selon les premières indications des centres de dépouillement. “Les islamistes et les libéraux en tête, recul des anciens partis”, titraient certains médias.  
Etat islamique en Egypte
Chaque phase se déroule sur deux tours dans un tiers des 27 gouvernorats du pays (plus de 80 millions d’habitants). Le premier tour s’est tenu lundi et mardi dans 9 gouvernorats, notamment au Caire et à Alexandrie, les deux plus grandes villes du pays. La dernière phase des législatives doit s’achever le 11 janvier, suivie par des élections pour la Choura (Chambre haute consultative) étalées jusqu’au 11 mars. “Les premiers signes montrent que le PLJ est crédité de 47% des voix tandis que le Bloc Egyptien remporterait 22%”, affirme les medias. Les Frères musulmans exigent que le parti qui obtiendrait la majorité parlementaire soit chargé de former le prochain gouvernement du pays, toujours dirigé par l’armée. Réprimée et marginalisée sous Moubarak, la confrérie ne revendique pas ouvertement un “Etat islamique”, mais son influence politique croissante inquiète les milieux laïques et coptes (chrétiens d’Egypte). Les islamistes ont été les grands vainqueurs des récentes élections en Tunisie et au Maroc dans la foulée du “Printemps arabe”.
Les résultats complets ne seront pas connus avant des mois, mais pour le vice-président de “Liberté et Justice”, Essam Al-Erian, l’islam politique va s’imposer également en Egypte, et obliger le monde à l’accepter. “Il est temps désormais que les capitales du monde qui ont soutenu Moubarak disent qu’elles acceptent l’issue du scrutin. Maintenant, pas après les résultats”, a-t-il affirmé. Commentant le déroulement du scrutin, le PLJ a parlé dans un communiqué d’un “jour sans précédent” dans l’Histoire de l’Egypte. Le peuple “est en train de dessiner son avenir, salué par le monde entier qui a été surpris par cette participation massive”. Le PLJ a estimé que le taux de participation avait atteint “entre 30 et 32%”. A l’attention des illettrés -près de 40% de la population-, chaque parti ou candidat indépendant est identifié par un emblem, la balance de la justice pour le parti des Frères musulmans, un ballon de football, une pyramide, ou des symboles plus surprenants comme une brosse à dents ou un mixeur.
Appels au boycott
Non loin de l’emblématique place, face aux bureaux du premier ministre, une partie des manifestants affirme ne pas avoir confiance dans le pouvoir des urnes et appelle au boycott des élections. Pour beaucoup, le futur parlement, qui doit nommer une commission chargée de rédiger la future Constitution du pays, n’aura que des pouvoirs très limités. Un sentiment conforté par une récente interview du général Mamdouh Shahine, membre du Conseil suprême des forces armées. Ce dernier expliquait ainsi que légalement, le Parlement ne peut avoir qu’une faible influence sur le gouvernement. Et ne pourra exercer de motion de censure sur l’appareil exécutif. Car jusqu’aux élections présidentielles, prévues avant juin 2012, le Conseil suprême conserve un contrôle absolu sur les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire du pays
plaintes coptes
Le premier tour des élections législatives égyptiennes a été marqué par l’affluence massive des électeurs.  Pour les électeurs ne sachant pas lire, encore nombreux en Égypte, chaque liste ou candidat s’est vu attribuer un symbole facilement reconnaissable: un clou, une pomme, une voiture, un couteau, une ampoule, un étui à lunettes, une caisse enregistreuse, un ballon, une balance. Pour les électeurs n’ayant pas encore arrêté leur choix, certains partis viennent en aide aux hésitants: “Pour voter, c’est très simple”, explique une jeune femme voilée à un groupe d’électrices. “Vous choisissez une liste sur le premier bulletin, et deux candidats sur le second. Vous mettez chacun dans l’urne correspondante. Et vous n’oubliez pas la liste Justice et Liberté”, ajoute-t-elle. La jeune femme porte autour du cou un badge marqué de la balance de la justice. Elle n’a pas besoin d’en dire plus. La plupart des femmes entre deux âges qu’elle renseigne ainsi ont déjà en main le tract marqué du même signe, symbole du parti formé par les Frères musulmans, ainsi que d’un cactus et d’une guitare, les deux candidats du parti dans la circonscription.
Les Frères musulmans sont presque en terrain conquis dans ces ruelles populeuses à l’ambiance napolitaine, avec linge étendu entre les balcons, amples ménagères qui s’interpellent depuis leurs fenêtres, gamins sur les pas-de-porte, chats de gouttières qui rôdent, poules dans des cages en bois, moto-taxis klaxonnantes, charrettes tirées par des ânes et petites boutiques. “Les Frères musulmans disent aux gens pour qui voter et mettent leurs affiches partout. Ils ont beaucoup d’argent, et personne ne sait d’où il vient”, dit une jeune femme. J’étais sur la place Tahrir, et c’est grâce à la révolution que nous avons des élections libres, pas grâce aux Frères. Mais les partis révolutionnaires n’ont pas les moyens de faire campagne, et ce sont les Frères qui vont ramasser la mise”.Peu après, c’est une chrétienne copte en cheveux . “Devant les isoloirs il y a une femme qui dit de voter pour le parti Justice et Liberté! C’est inadmissible!”, s’exclame-t-elle. “Vote et va-t’en!”, lui lance un homme qui distribue des tracts du parti Al-Nour. Sur les affiches de ce parti salafiste, les candidats sont presque tous barbus, et la photo de la seule candidate de la liste a été remplacée par un carré blanc avec son nom.
Rôle des Etats-Unis avec les FM
Les représentants officiels des Etats-Unis ont affirmé qu’ils avaient été en contact et en négociations permanentes avec les Frères musulmans. Ils ont déclaré qu’ils se préparaient à faire face à un gouvernement de coalition formé par les Frères musulmans, d’anciens membres du PND et quelques libéraux. Les élections semblaient être organisées en vue de disposer d’un parlement quasiment identique au dernier parlement de l’ère Moubarak. Les Etats-Unis et le CSFA apparaissaient confiants dans leur capacité de stabiliser la situation et jugeaient avoir réussi à couper l’herbe sous le pied au mouvement révolutionnaire. C’est la raison pour laquelle la police est intervenue brutalement le samedi 19 novembre contre le sit-in, comme il l’avait fait à de nombreuses reprises antérieurement. Briser quelques têtes, casser quelques bras et jambes et il en serait fini, voici ce que les militaires pensaient. Ils ne s’attendaient pas à la vague de colère et à la volonté de lutte. Il semblait que les islamistes étaient prêts à constituer un gouvernement avec l’accord du CSFA. Mais maintenant l’ensemble du rapport de force a changé. Il a fallu 48 heures pour que le mouvement gagne sur une revendication refusée durant neuf mois: l’interdiction aux membres du PND de participer au parlement durant cinq ans; et cela bien que nombre d’entre eux soient candidats pour les élections qui se devraient se tenir dans moins d’une semaine 28 novembre. Plus important, le CSFA a dit qu’il renonçait à contrôler les procès à l’encontre des crimes commis par la police militarisée et qu’il allait transférer toutes les accusations à des procureurs civils. Depuis le 9 octobre 2011, cette revendication occupait une place centrale, lorsque la police militaire avait massacré des civils lors des protestations organisées par les Coptes.
Nouvelles manifestations vendredi 
Il est important de noter que des appels ont été lancés en Egypte pour deux manifestations rivales ce vendredi, l’une favorable, l’autre hostile au pouvoir militaire qui dirige le pays. Cet appel intervient au lendemain du premier tour de législatives historiques qui se sont déroulées sans accroc. “Nous appelons tous les Egyptiens à participer le 2 décembre sur la place Tahrir à l’hommage qui sera rendu aux martyrs de la rue Mohamed Mahmoud et à tous les martyrs tués par les militaires durant la période de transition”, ont affirmé mercredi les “comités populaires pour la défense de la révolution égyptienne” sur leur page Facebook. La rue Mohamed Mahmoud, près de la place Tahrir, a été le théâtre d’affrontements qui ont éclaté entre manifestants et forces de l’ordre durant la semaine précédant les élections. Ces heurts et d’autres violences dans le reste du pays ont fait 42 morts. A noter que soixante-dix-neuf personnes ont été  blessées mercredi dans des accrochages entre des manifestants sur la place Tahrir et des vendeurs ambulants, selon le ministère de la Santé, peu après la clôture dans le calme du premier tour d’élections historiques. 
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