Le spectre de Kadhafi hante Damas

15-12-2011 09:07 AM


Par Christian Makarian, 

En Syrie, l’entêtement criminel du régime de Bachar el-Assad “contient en germe le scénario libyen”.  
Dans une implacable logique de mort, il a choisi de continuer de tuer, alors que son régime n’existait déjà plus; sa fin ne pouvait être que sanglante. On ne se penchera pas de nouveau sur les quarante-deux ans de règne du Mouammar Kadhafi, que beaucoup – Européens, hier compromis dans le dialogue, ou Libyens fraîchement convertis à l’alternance – ont intérêt à passer par pertes et profits.   
Il ne faut pas, pour autant, tenir l’épilogue de cette folle dictature des sables comme une péripétie historique. C’est bel et bien une étape majeure, dont il faut tirer les leçons de manière prospective. Pour la première fois de son histoire, la Libye a acquis la dimension d’une leçon universelle. Entre Tripoli et Benghazi s’étendait un décor famélique où l’absurdité de la dictature avait atteint son point paroxystique: un pays, potentiellement le plus riche d’Afrique, sous-peuplé, richissime en hydrocarbures et dont la population, en retard sur tout, laissée à l’écart du progrès, n’avait droit pour se distraire qu’à baiser la photo du “Guide”. C’est pourquoi l’effondrement du régime de Kadhafi se devait d’être total, dramatique, mélange de kitsch et de chairs brûlées, éruption de rage destinée à hurler à la face du monde que tant de vies ont été gâchées ou perdues par la perversité d’un seul.  
Mais la mort de Kadhafi ne s’inscrit pas encore dans le futur de la Libye. Elle fait toujours partie du cycle de violence qu’il a ouvert et cruellement alimenté. Pour en sortir, il faut que le nouveau régime montre qu’il sait rompre avec ces pratiques et, notamment, qu’il évite l’épuration sauvage vis-à-vis des collaborateurs des dernières heures de Kadhafi, qui fuient de toutes parts. S’il était très irréaliste d’imaginer que le colonel libyen finirait par comparaître devant la Cour pénale internationale, on est en droit d’espérer que la chasse à ses sbires ne servira pas de premier chapitre à l’histoire de la Libye nouvelle. Seul, l’établissement d’une justice cohérente, même si elle est dure, et la confiance du peuple en un système juridictionnel qui prononcera ses décisions “au nom du peuple libyen” permettront de conclure à une transition, à un vrai changement. A Syrte, les Libyens ont peut-être trouvé leur Valmy. Mais c’est à eux de le prouver. Et il reviendra à Nicolas Sarkozy de l’avoir compris, comme d’avoir à la fois déclenché et mis fin à l’engagement de l’Otan en sept mois!  
Des trois pays arabes qui ont à ce jour renversé leur tyran, seule la Libye a versé dans le chaos armé, subi la résistance acharnée des bourreaux, connu le courageux sacrifice des générations inexpérimentées. Rançon de structures tribales et de réflexes de clique, exacerbées et manipulées par Kadhafi. Mais aussi gage d’une solidarité tissée contre la barbarie: c’est la première fois, aussi, qu’un sentiment national libyen a eu l’occasion de s’exprimer dans la fraternité des armes, que l’immaturité a dû être dépassée par nécessité vitale, que la fatalité comme le règne de la force ont été vaincus par la volonté.   
En Tunisie comme en Egypte, l’abandon ou la fuite des figures honnies auront au moins permis de limiter le carnage. C’est sans doute parce qu’ils n’ont pas voulu, ou pas pu, s’engager dans une répression féroce que Ben Ali et Moubarak sont encore en vie et, surtout, que leurs pays se sont épargné une phase de guerre fratricide.   
En Syrie, en revanche, l’entêtement criminel du pouvoir alaouite contient en germe le scénario libyen. La bravoure des manifestants, qui ont jusqu’ici privilégié la lutte politique, ne suffit pas à renverser ni même à infléchir le tyran. Au point que l’opposition en exil redoute maintenant le passage à la phase armée de la rébellion. Faudra-t-il que le peuple syrien verse son sang avant que ne coule celui des Assad, ce qu’à Dieu ne plaise? Le spectre de Kadhafi hante maintenant Damas.                                                             L’Express.fr
(Visited 32 times, 1 visits today)

commentaires

commentaires