La visite qui répand de l’huile sur le feu au Liban

15-12-2011 09:06 AM

Abdel Massih Felli


Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a effectué mercredi dernier au Liban une visite officielle controversée, notamment en raison de son soutien au Hezbollah et de son projet de se déplacer dans le sud du pays, une zone sensible où s’est déroulé la dernière guerre entre Israël et la milice chiite. “Aujourd’hui, une nouvelle page se tourne. Je suis fier d’être au Liban”, s’est réjoui le président iranien lors de sa rencontre avec le président du Parlement, le chiite Nabih Berri, accompagné de députés et des deux ministres du Hezbollah au sein du gouvernement d’union libanais. “Les ennemis du Liban et de l’Iran sont pris de terreur quand ils voient ces deux nations côte à côte”, a lâché Mahmoud Ahmadinejad, qui dispose d’une indéniable popularité parmi les Libanais chiites. Des dizaines de milliers de personnes se sont massées dès les premières heures de la matinée sur la route de l’aéroport, accueillant le convoi officiel par des jets de riz et de fleurs.  Mahmoud Ahmadinejad s’est rendu mercredi au palais présidentiel de Baabda pour s’entretenir avec son homologue libanais, Michel Sleimane. Il a aussi rencontré le Premier ministre libanais soutenu par les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, Saad Hariri. Jeudi, au deuxième jour de sa visite Mahmoud Ahmadinejad s’est rendu dans des villages du sud frontalier d’Israël, durement touchés lors de la guerre de 2006. Une visite très mal perçue par le voisin israélien, que le chef d’Etat iranien ne cesse de dénoncer, quand il ne promet pas sa disparition prochaine.


Tapage médiatique
Rarement une visite officielle au Liban n’a suscité un tel tapage médiatique. La venue du flamboyant président iranien Mahmoud Ahmadinejad le 13 octobre à Beyrouth a accru les tensions intercommunautaires dans ce pays. Les deux affiches publiées en première page d’un journal en sont la preuve éclatante. Sur la route de l’aéroport de Beyrouth,  proche de la banlieue chiite pro-hezbollah, les affiches souhaitent en arabe, mais aussi en persan, la bienvenue à Ahmadinejad. Par contre, à Tripoli, ville sunnite libanaise, les affiches qui ont fleuri montrent la tête du Président iranien barrée et affirment la non bienvenue. Sur la route qui relie l’aéroport au palais présidentiel, des drapeaux et des ballons aux couleurs de l’Iran ont salué le passage du chef d’Etat. Des manifestations de joie qui ravivent les inquiétudes de l’Occident concernant une éventuelle influence de l’Iran au Liban. Les Etats-Unis notamment cherchent à isoler l’Iran en raison de son programme nucléaire très controversé et des aides financières probables apportés par le Hezbollah qui porteraient atteinte à la souveraineté du Liban. Des experts occidentaux pensent que l’Iran aurait aussi réarmé un mouvement qualifié de terroriste qui admet disposer de plus de 30 000 roquettes et missiles.


Le bloc parlementaire majoritaire pro-occidental dirigé par Saad Hariri s’est également dit très préoccupé par cette affaire. Il accuse l’Iran de faire passer le Liban pour “une base iranienne en Méditerranée”. Le président iranien a signé un accord de prêt avec le Liban d’un montant de 450 millions de dollars pour des projets de nature civile ainsi qu’un accord de coopération dans le domaine de l’énergie. Téhéran a également proposé d’aider le pays à moderniser son réseau électrique vétuste, de financer des projets hydrauliques et de compenser les armes américaines dont la fourniture est suspendue par les objections d’ordre politique du Congrès américain.


Enjeu régional
Ses partisans chiites saluent déjà une visite historique. Ses détracteurs craignent qu’il ne jette de l’huile sur le feu d’une scène politique libanaise et proche-orientale déjà en ébullition. C’est peu dire que la visite de deux jours entamée par Mahmoud Ahmadinejad mercredi au Liban est scrutée par toute la communauté internationale. Elle intervient alors que des membres du Hezbollah pourraient être mis en cause par le tribunal spécial mis sur pied par l’Onu pour juger les auteurs ou commanditaires de l’attentat qui a coûté la vie à Rafic Hariri, l’ancien Premier ministre, en 2005. Ce voyage, le premier depuis son élection en 2005, illustre de fait le poids de plus en plus important que joue l’Iran au pays du cèdre, source de souci pour les pays occidentaux et leurs alliés locaux. Ceux-ci sont majoritaires au parlement. Mais ils cohabitent avec des représentants politiques du Hezbollah au sein d’un gouvernement d’unité nationale et se plaignent que le très anti-sioniste Mahmoud Ahmadinejad considère leur petit pays comme “une base iranienne en Méditerranée” face à Israël.


Au niveau régional, les pourparlers de paix entre Israéliens et Palestiniens sont bloqués par le refus de Netanyahu de prolonger le moratoire sur la colonisation. Beaucoup craignent qu’un échec de ces pourparlers de paix pourraient conduire à la guerre. Dans ce contexte, la visite d’Ahmadinejad va sûrement répandre de l’huile sur le feu. Ou peut-être pas. Cette visite pourrait devenir un non-événement. L’ordre du jour politique surchargé au Moyen-Orient laisse peu de place pour le spectacle du président iranien. Les médias libanais sont fortement concentrés sur l’affaire des faux témoignages, les médias israéliens sont concentrés sur les pourparlers de paix et les médias européens sur le Nobel de la paix chinois et la libération des mineurs chiliens. La France est en grève, les États-Unis se préparent pour les élections. A propos de la question nucléaire, les dernières nouvelles sont à l’apaisement: l’Iran a récemment déclaré qu’il accepte de négocier avec les 5. Paradoxalement, la meilleure façon de renforcer son allié du Hezbollah est de garder un profil bas et justement de réaffirmer la souveraineté du Liban. La stratégie du Hezbollah est d’intégrer le jeu politique libanais et d’être considéré comme la résistance libanaise capable de défendre le pays.


Nasrallah partisan d’Ahmadinejad
Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a appelé les Libanais à participer “massivement” à l’accueil du président iranien Mahmoud Ahmadinejad en visite dans le pays. “J’appelle le peuple libanais et les Palestiniens (des camps de réfugiés) à accueillir le président de la République d’Iran et à participer massivement aux événements organisés durant la visite”, a affirmé Nasrallah lors d’une intervention par vidéo-conférence à l’occasion d’une cérémonie organisée par “Jihad Al-Bina”, organisme de reconstruction rattaché au Hezbollah. “Le président Ahmadinejad a visité Cana (sud) pour rendre hommage aux martyrs et à Bint Jbeil (sud) pour le symbole de résistance qu’elle représente”, a-t-il ajouté, en référence au village cible de raids israéliens meurtriers en 1996 et 2006 et la localité frontalière, théâtre de violents affrontements entre soldats israéliens et combattants du Hezbollah lors de la guerre de 2006. “Le programme ne prévoit pas qu’Ahmadinejad jette une pierre en direction d’Israël à la frontière”, a affirmé Nasrallah, démentant des rumeurs à ce propos. “Si le président Ahmadinejad me demande mon avis, je lui dirai “Une pierre” vous êtes capable de jeter plus qu’une pierre (sur Israël)”, a-t-il poursuivi sous les applaudissements.



 

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