Hommage au Centenaire du Nobel de littérature

15-12-2011 09:07 AM


Naguib Mahfouz, qui aurait eu cent ans aujourd’hui, a fait reconnaître la culture et la littérature arabes à travers le monde. Il fut un peintre très sensible, très lucide, très audacieux aussi, des réalités sociales de son pays et particulièrement de son Caire natal qui, jusqu’à la fin, resta pour lui une source d’inspiration privilégiée. 
Comme Balzac et Zola, comme Tolstoï et Faulkner, Mahfouz a été le témoin de son époque, témoin à l’écoute de son peuple, celui qu’il côtoyait quotidiennement dans sa rue, dans son café. Naguib Mahfouz fut un écrivain “visionnaire et courageux” dont l’œuvre  fait honneur non  seulement aux lettres arabes, mais aussi à la littérature universelle.
Naguib Mahfouz, né le 11 décembre 1911 dans le quartier populaire de Gamaliyya à Khan al-Khalili au Caire et mort en 2006, est un écrivain égyptien contemporain et l’intellectuel le plus célèbre d’Égypte, lauréat du prix Nobel de littérature en 1988.
La carrière littéraire de Naguib Mahfouz se confond largement avec l’histoire du roman moderne en Égypte et dans le monde arabe. Au tournant du XXe siècle, le roman arabe fait ses premiers pas dans une société et une culture qui découvrent ce genre littéraire à travers la traduction des romans européens du XIXe siècle. Dans les années 1920, l’écrivain et homme politique Mohammad Hussein Haykal prône l’émergence d’une « littérature nationale » coulée « dans les moules occidentaux, afin que les Égyptiens y voient le signe qu’ils sont aussi avancés que l’Occident, et peut-être le devancent, dans les domaines de la civilisation ». Nul ne portera mieux que Naguib Mahfouz ce projet à son terme.
Débuts
Né dans une famille de la petite bourgeoisie cairote, il fait des études de philosophie à l’université du Caire (alors université Fouad Ier). Il commence à écrire à l’âge de 17 ans et publie ses premiers essais d’écriture dans les revues littéraires des années 1930. Il publie sa première nouvelle en 1939. Sa licence en poche, il obtient un poste de fonctionnaire et décide de se consacrer à la réécriture romanesque de l’histoire de l’Égypte. Le relatif échec des premiers romans, situés dans l’Égypte pharaonique, et peut-être l’urgence du contexte (l’Égypte est durement affectée par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale) l’amènent à renoncer à ce projet pour plonger dans l’histoire immédiate. Désormais, ses romans ont pour cadre Le Caire contemporain, dont il décrit les bouleversements sociaux dans une veine réaliste (“Passage des miracles”, 1947 ; “Vienne la nuit”, 1949).
Succès 
Mais le succès public et la reconnaissance critique tardent à venir. Son œuvre la plus importante est la Trilogie du Caire, commencée en 1950. Dans cet ensemble de plus de mille cinq cents pages, chaque roman porte le nom des rues où Mahfouz a passé sa jeunesse : “Impasse des deux palais” (Bayn al-Qasrayn), “Le Palais du désir” (Qsar al-Shawq), “La sucrière” (Al-Sokkariyya). Il y décrit la vie d’un patriarche et de sa famille au Caire pendant une période qui va de la Première Guerre mondiale jusqu’au renversement du roi Farouk. Par le nombre de ses personnages et la richesse de l’étude sociale, Mahfouz rappelle des prédécesseurs dans le genre romanesque : Balzac, Dickens, Tolstoï, Galsworthy. Il termine cet ouvrage juste avant le coup d’État de Gamal Abdel Nasser et dès 1952, il délaisse l’écriture romanesque pour le scénario – forme d’écriture moins noble mais mieux rémunérée.
La publication de la Trilogie en 1956 – 1957 lèvera ses doutes. À quarante-cinq ans, il est enfin reconnu. Avec cette saga familiale doublée d’une fresque historique de l’Égypte, de la révolution de 1919 aux dernières années de la monarchie, Mahfouz est en phase avec la nouvelle donne politique issue du changement de régime de 1952 et avec un mouvement littéraire et artistique qui privilégie le réalisme sous toutes ses formes.
Tournant
Il s’en détourne pourtant avec son roman suivant, “Awlâd hâratinâ” (Les enfants de notre quartier, 1959, trad. Française: Les fils de la médina), tournant dans sa carrière et dans l’histoire du roman arabe. Il y renoue en effet avec la riche tradition de la fiction allégorique pour développer une critique des dérives autoritaires du régime de Nasser et, au-delà, une réflexion pessimiste sur le pouvoir. Publié en feuilleton dans le quotidien Al-Ahram en 1959, puis à nouveau en 1967, ce roman a déclenché une polémique virulente. L’ouvrage (et l’homme) sont attaqués par les oulémas qui les jugent blasphématoires, puis le livre est frappé d’une interdiction officieuse de publication en Égypte (il sera publié à Beyrouth en 1967). Cette période agitée de la vie de l’écrivain est relatée dans “Naguib Mahfouz”, de Hafida Badre Hagil. En même temps, le scandale contribue à asseoir sa réputation et n’affecte pas sa carrière (il occupe alors, jusqu’à sa retraite en 1971, des fonctions de direction dans les appareils culturels étatiques). Il publie beaucoup : des nouvelles dans la presse, reprises en recueils, et près d’un roman par an, revenant au plus près d’un réalisme critique (“Dérives sur le Ni”l, 1966 ; “Miramar”, 1967) ou dissimulant son message dans des textes à clés (“Le Voleur et les chiens”, 1961 ; “La Quête”, 1965). Ses grands romans réalistes sont adaptés au cinéma l’un après l’autre, ce qui lui donne accès à un public incomparablement plus vaste que celui de l’écrit.
Sommet de son art
Proche des jeunes écrivains en colère qui émergent dans les années d’effervescence qui suivent la catastrophe de 1967 – Gamal Ghitany, Sonallah Ibrahim, Baha Taher, Ibrahim Aslan, Mohammed El Bisatie, etc. – Mahfouz reprendra volontiers à son compte, dans ses romans ultérieurs, leurs innovations esthétiques. Mais c’est lorsqu’il renoue avec sa source d’inspiration favorite, le vieux Caire de son enfance (“Récits de notre quartier”, 1975 ; “La Chanson des gueux”, 1977), qu’il est au sommet de son art.
Il est un des rares intellectuels égyptiens et arabes à avoir approuvé les accords de paix entre l’Égypte et Israël en 1979, tout en se déclarant totalement solidaire des Palestiniens. Une position qui lui a valu d’être boycotté dans de nombreux pays arabes. 
Fidèle à ses principes
Demeuré fidèle tant à ses convictions politiques libérales qu’à sa conception de la littérature, il fait figure dans les années 1980 de maître respecté pour ses qualités morales et son apport massif au roman arabe, mais souvent contesté pour ses options politiques. Le prix Nobel qui lui est décerné le 13 octobre 1988 va bousculer sa routine de retraité, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur : ce prix, le premier attribué à un écrivain arabe, lui donne accès au marché mondial (ses traductions se comptent aujourd’hui par centaines, dans plusieurs dizaines de langues). Le pire : dans un contexte d’affrontement violent entre le pouvoir et la fraction radicale de l’opposition islamiste, mais aussi de raidissement moral et religieux qui touche plus ou moins toutes les couches de la société égyptienne, la polémique autour de « Les Fils de la Médina » Awlâd hâratinâ refait surface et Naguib Mahfouz survit miraculeusement à une tentative d’assassinat à l’arme blanche (octobre 1994) perpétrée par deux jeunes fanatiques islamistes membres de al Jama’a al Islameya qui ont reconnu au procès ne pas avoir lu une seule ligne de son œuvre, à la sortie de son domicile. Depuis, il était paralysé de la main droite et avait cessé d’écrire, contraint de dicter ses textes. Croyant toujours au grand pouvoir de la littérature, il déclare au lendemain de l’agression : « L’écriture a beaucoup d’effets sur la culture et sur toutes les valeurs civilisationnelles ».
Réalisme et génie du lieu 
Naguib Mahfouz s’intéresse beaucoup, dans ses œuvres romanesques, aux lieux étroits qui rassemblent plus d’une catégorie de gens. En même temps, le réalisme est considéré comme le principal aspect dans ses nouvelles et ses romans. 
Pendant prés de 70 ans – l’âge de l’innovation et de la création de notre grand écrivain – Mahfouz avait été l’œil qui observait les mutations de la société égyptienne du point de vue politique, économique, intellectuel et social comme il contemplait avec un cœur palpitant et une clairvoyance sensible toutes ces mutations. Il a été en mesure d’assimiler ces données et de les restructurer du point de vue littéraire et artistique. Ainsi le réalisme a-t-il imprégné le lieu donnant à l’art de Mahfouz un caractère exceptionnel qui lui a permis de fonder une école dans le domaine de la composition. Dans les romans, « le palais du désir », « Impasse des deux palais », « la sucrière », « Khan el Khalili », « le passage des miracles », « Miramar », « Qoshtomor », « Al Karnak » et « dérives sur le Nil », il a mis l’accent sur la littérature du lieu. Mahfouz a fondé donc une école littéraire dans la nouvelle et le roman arabes, école qui pourrait être surnommée, la littérature du réalisme du lieu ou le génie de la littérature réaliste. Il s’intéresse donc à la description du lieu et des relations sociales entre les habitants de ce lieu. 
Mahfouz choisit des personnages vivants et réels très proches de la réalité du lieu dans lequel ils vivent ; et a ranimé entre eux l’interaction sociale, naturelle et réelle relativement à tout ce qui s’y passe. 
La tragédie 
Ragaa El-Naqach qualifie de tragique la littérature de Mahfouz qui est l’expression d’un drame acharné lié à la classe moyenne que Mahfouz considère représentante de la base de la société égyptienne. Tout au long de son itinéraire littéraire, Mahfouz a focalisé sur la classe moyenne. Il a mis l’accent sur les malheurs et les rêves et les problèmes des gens modestes. C’est pourquoi Mahfouz sera toujours une des principales sources de l’étude des problèmes sociaux, psychologiques et spirituels de l’Egypte, au cours de cette période, tout comme Balzac qui avait été la principale source favorisant la compréhension de la France au XIXème siècle. 
Décès
Hospitalisé  quelques semaines plus tôt des suites d`une chute à son domicile, le grand écrivain est décédé en 2006 . Il laisse une œuvre considérable qui a marqué les consciences. Son départ a été salué par un torrent d`hommages aussi bien en Egypte que dans le reste du monde.
En ce jour, nous commémorons une source de rayonnement et un phare de la culture en une période qui a bien besoin de s’en inspirer…                      M.V
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