Choix dangereux de l’escalade ou plan de sortie de crise ?

15-12-2011 09:05 AM

Abdel Massih Felli-Michael Victor


Il y avait environ 35.000 soldats américains en Afghanistan quand Obama a pris ses fonctions. Ils sont aujourd’hui environ 68.000 après une première augmentation des effectifs en février. S’il déploie 30.000 hommes supplémentaires, le contingent aura triplé sous sa jeune présidence. Il s’agit de la décision peut-être la plus difficile de sa présidence. Même si Obama a hérité de cette guerre, elle est désormais son affaire et, selon l’expert en sciences politiques Peter Woolley, “il y a bien plus à perdre qu’à gagner”: “Pour une issue qui soit favorable aux Américains en Afghanistan, il faudra des années, et encore… le fait qu’elle est favorable ne sera pas flagrant, ça n’aura rien à voir avec la conquête de l’Allemagne en 1945”. Lundi, outre ses conversations avec Brown, Sarkozy et Medvedev, il recevait le Premier ministre australien Kevin Rudd, avec la possibilité de le sonder sur une éventuelle contribution australienne à l’envoi de renforts. Obama s’est donc concerté pendant trois mois avec ses généraux, ministres et conseillers. Dimanche, il a mené d’ultimes consultations avec eux, avant de les informer de son choix.
Discours d’Obama Barack Obama a annoncé mardi le déploiement accéléré de 30.000 soldats supplémentaires en Afghanistan, assurant à des Américains sceptiques que cette escalade, justifiée par la sécurité nationale, serait limitée dans le temps. Soulignant que “l’Afghanistan n’est pas perdu” mais que la menace d’Al-Qaïda persiste, le président des Etats-Unis a qualifié l’envoi de ces renforts d'”intérêt national vital”, dans un discours devant les élèves de la prestigieuse école militaire de West Point dont certains vont aller au front. Il a aussi concédé que cet envoi allait alourdir de 30 milliards de dollars la facture de la guerre pour les contribuables. “Les 30.000 soldats supplémentaires dont j’annonce l’envoi ce soir se déploieront dans la première partie de 2010 -au rythme le plus rapide possible- afin de s’en prendre à la rébellion et de sécuriser les grands centres de population”, a souligné M. Obama. Mais soucieux de ne pas prêter le flanc aux craintes d’enlisement et rejetant avec force toute analogie entre cette guerre et le désastre du Vietnam, il a assuré qu'”après 18 mois, les troupes commenceront rentrer à la maison”, soit à partir de juillet 2011. M. Obama a aussi lancé un avertissement particulièrement musclé au président afghan Hamid Karzaï, dont la réélection a été entachée de fraudes et dont le gouvernement est accusé de corruption: “l’époque du chèque en blanc est révolue”, a-t-il asséné, ajoutant que “nous allons clairement expliquer ce que nous attendons de la part de ceux que nous aidons”. M. Obama a mentionné l’importance d’un “partenariat efficace” avec le Pakistan, l’un des trois “éléments-clés” de sa stratégie militaire, au côté des efforts pour confier les rênes de la guerre aux Afghans eux-mêmes et de l’envoi de coopérants civils. Il a aussi prévenu qu’Al-Qaïda prépare “de nouveaux attentats à l’heure où je vous parle” contre les Etats-Unis, et appelé à “faire face” aux terroristes partout, en mentionnant en particulier la Somalie et le Yémen. Front intérieur
Sur le plan de la politique intérieure, Barack Obama a tenté de répondre aussi bien aux réticences de l’opinion publique et des démocrates, sceptiques à l’idée de mettre de nouveaux personnels et financements au service d’un gouvernement afghan réputé corrompu, qu’aux critiques des républicains, qui le jugent trop hésitant. D’après une récente enquête Washington Post -ABC News, 48 % des Américains désapprouvent la manière dont Barack Obama traite la question afghane, contre 45 % qui l’approuvèrent. Si l’issue n’est pas favorable, le nom d’Obama, qui a fait de l’Afghanistan une “guerre nécessaire” après des années de négligence au profit de l’Irak, sera associé à cet échec.
Peter Feaver, un politologue de la Duke University, estime néanmoins qu’Obama est aujourd’hui en bien meilleure position politiquement que George W. Bush lorsque celui-ci a annoncé l’envoi supplémentaire de troupes en Irak en janvier 2007.
L’Amérique pacifiste L’annonce de renforts en Afghanistan a été mal accueillie par les militants pacifistes de San Francisco, fief de la gauche américaine qui a pourtant porté Barack Obama à la Maison Blanche. Elles sont une quinzaine -des femmes- toutes de rose vêtues, signe de l’appartenance à Code Pink, un groupe qui se veut à la pointe du pacifisme. Attablées pour l’occasion au restaurant “Chez Tommy”, elles sont venues écouter Barack Obama à la télévision . Les fourchettes en tombent d’effroi et les têtes s’agitent en signe de réprobation au moment où le président américain justifie sa décision d’envoyer 30.000 soldats supplémentaires en Afghanistan. “Mais on dirait du George Bush!”, enrage une participante. Réactions en Afghanistan Le gouvernement afghan a salué mercredi l’annonce par le président américain de l’envoi de 30.000 soldats supplémentaires en Afghanistan, et les talibans ont promis en retour davantage de “cercueils” à Barack Obama. “Le président Barack Obama a très clairement réaffirmé l’engagement des Etats-Unis en Afghanistan et son discours correspond tout à fait à ce que le gouvernement et le peuple afghans attendaient”, a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Rangeen Dadfar Spanta. “Nous devons assumer progressivement nos responsabilités pour qu’au bout du compte, nos invités étrangers puissent rentrer chez eux”, a-t-il ajouté. “L’espoir du président américain de contrôler militairement notre pays ne se réalisera pas”, a rétorqué Qari Yousuf Ahmadi, un porte-parole des talibans, dans un entretien téléphonique avec l’AFP. “Envoyer davantage de soldats étrangers ne va pas aider l’Afghanistan. Cela va juste renforcer l’idée qu’il s’agit d’une invasion étrangère, que les Américains sont là pour défendre leurs intérêts et avoir une présence militaire en Asie centrale, près de l’Iran et de la Chine”, a estimé Shah Agha, chauffeur de taxi de 43 ans et ancien officier. “Les talibans ont été balayés en quelques semaines fin 2001, mais depuis, l’insurrection ne cesse de s’étendre malgré l’envoi de toujours plus de soldats étrangers. Ce qui conduit les villageois afghans vers les talibans, c’est la pauvreté, la corruption, le chômage”, soulignait Faqir, 33 ans, garagiste à Kaboul.
“Plein soutien” de Sarkozy Le président français Nicolas Sarkozy a apporté son “plein soutien” à son homologue américain Barack Obama qui a annoncé mardi soir l’envoi de 30.000 soldats supplémentaires en Afghanistan, selon un communiqué de l’Elysée. “C’est un discours courageux, déterminé et lucide qui donne un nouvel élan dans l’engagement international et ouvre de nouvelles perspectives”, a estimé M. Sarkozy. Le chef de l’Etat a souligné que “la France restera fermement engagée, avec ses alliés, aussi longtemps que nécessaire, aux côtés du peuple afghan”, sans annoncer toutefois de renforts pour les “près de 4.000 personnels, soldats, gendarmes, policiers” français présents en Afghanistan. Paris apportera “un soutien renforcé au Pakistan voisin dans sa lutte contre les forces de déstabilisation qui menacent toute la région”. “La stabilité de l’Afghanistan comme celle du Pakistan sont essentielles pour la paix du monde et pour notre propre sécurité”, a souligné M. Sarkozy. “Ensemble, avec nos Alliés, nous allons continuer d’apporter à l’Afghanistan et à son peuple le soutien militaire et civil nécessaire”, a-t-il ajouté en précisant que la France avait “fortement accru son engagement civil et militaire depuis deux ans”.
légende Obama le 1er décembre 2009 à West Point

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Robert Gates et Hillary Clinton pendant le discours d’Obama.

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