À la recherche de la musique pharaonique

15-12-2011 09:05 AM


Le peuple égyptien a été passionné de musique, de chant et de danse. Sans aucun doute, il compta des musiciens accomplis, connaissant une vie musicale intense, religieuse surtout, mais aussi profane.

L’art musical était donc essentiellement religieux et jouait un rôle important dans la vie des temples.
On trouve dans les tombes privées, comme dans les peintures et reliefs des temples, de nombreuses scènes représentant un musicien devant le dieu. Il n’est pas rare de voir le pharaon chanter devant la statue d’une divinité et communiquer avec elle par le chant, accompagné d’instruments
Les services quotidiens du dieu étaient ponctués de récitations, de psalmodies et de morceaux chantés. Au cours des sorties du dieu durant lesquelles sa statue, enfermée dans une petite chapelle posée sur une barque, quittait le temple, des prêtres suivaient la procession en psalmodiant, accompagnés de l’orchestre sacerdotal, des grands personnages de la Cour et de l’armée.
Chanteurs, danseurs et musiciens intervenaient non seulement lors des fêtes propres à chaque sanctuaire mais également à l’occasion de festivités mêlant sacré et profane : celles en rapport avec les événements de l’année agricole, celles organisées en souvenir d’épisodes de la vie des dieux ou encore celles célébrant un événement marquant du règne du pharaon tel son jubilé ou fête Sed.
Le personnel du temple comprenait donc des spécialistes dont le rôle semble avoir crû avec le temps. Au départ, il s’agissait principalement de personnes d’origine modeste mettant leurs talents artistiques au service du clergé qui, en contrepartie, leur assurait nourriture et sécurité. Plus tard, selon Clément d’Alexandrie, les chanteurs ou hymnodes firent partie des prêtres supérieurs et bénéficièrent d’une brillante situation sociale. Quant aux femmes, chanteuses, danseuses et musiciennes, souvent de classe supérieure, leur présence dans les temples est à peu près constante.

La musique profane

Dans la vie quotidienne, la musique et le chant accompagnaient les diverses activités des Égyptiens.
Le berger conduisait son troupeau en s’accompagnant d’une flûte ou profitait d’un instant de détente pour jouer une mélodie à l’ombre d’un arbre. Des scènes de chasse nous montrent des femmes utilisant leur tambourin pour débusquer les oiseaux cachés dans les broussailles. Moissonneurs, vendangeurs et ouvriers se donnaient de l’ardeur au travail en reprenant en chœur un air entonné par un chanteur, parfois accompagné d’un ou deux musiciens.
Concerts et danses agrémentaient également les fêtes de village organisées à l’occasion par exemple, des naissances et des mariages, ainsi que les banquets si souvent représentés sur les murs des tombeaux.
Dans le domaine militaire, les trompettes et tambours, de forme cylindrique, servaient à rassembler les troupes et à marquer le pas des soldats. Ces instruments aux capacités mélodiques limitées rythmaient également les processions et les manifestations publiques, accompagnés de planchettes entrechoquées ou simplement du battement des mains des soldats.

La danse
La danse elle aussi bénéficiait d’une faveur toute spéciale.
Sous l’Ancien Empire, la musique instrumentale était avant tout réservée aux hommes. Un orchestre constitué de harpistes et de flûtistes accompagnait le chanteur ou s’ajoutait aux claquements des doigts, aux battements des mains et aux instruments rythmiques qui marquaient la cadence des pas des danseurs.
Les reliefs de cette époque évoquent une musique douce et raffinée. Les danses semblent, elles aussi, calmes et décentes. Des femmes effectuaient une marche simple ou se tenaient sur la pointe des pieds, les bras en corbeille au-dessus de la tête ou levés de manière oblique.
D’autres danses étaient plus compliquées et avaient probablement une fonction rituelle, telle la danse funéraire des Mou(h)ous, exécutée par des hommes coiffés d’une curieuse couronne végétale.
Enfin, certaines chorégraphies peuvent être qualifiées de véritables tableaux vivants. Une scène du Moyen Empire représente cinq jeunes filles transposant en une gesticulation acrobatique La chanson des quatre vents dont le texte nous est connu par des recueils de formules religieuses.
Le pagne d’homme semble avoir été le costume ordinaire des danseuses de l’Ancien et du Moyen Empire. Colliers, bracelets, anneaux de cheville et couronnes de fleurs agrémentaient parfois leur tenue. Quand elles n’avaient pas les cheveux courts, ceux-ci étaient lestés d’un poids afin qu’ils produisent de séduisantes oscillations.
Au Nouvel Empire, la musique se fit plus vive et plus forte, les instruments , importés pour la plupart des provinces asiatiques, se diversifièrent et se perfectionnèrent. Ce sont alors les femmes, le plus souvent, qui accompagnaient le chant de leurs instruments : une grande harpe, deux luth (ou un luth et une lyre) et une double flûte constituaient l’orchestre type de l’époque.
Les danseuses abandonnèrent le pagne court et étaient vêtues de longues robes de toile transparente ou, parées d’une riche perruque, de colliers et de boucles d’oreilles, n’avaient pour tout vêtement qu’une étroite ceinture.
Les danses se firent plus turbulentes : frappant sur leur tambourin, agitant des castagnettes ou claquant simplement dans leurs mains, les jeunes filles tourbillonnaient et exécutaient des mouvements rapides et acrobatiques.

Les divinités et la musique

Si peu de divinités sont représentées jouant d’un instrument, certaines, par leur action, leur appellation ou leurs attributs, sont associées de près ou de loin à la musique.
Mehet-Weret (la Methyer grecque), représentée sous la forme d’une vache au ventre constellé d’étoiles, porte au cou un collier ménat. Osiris, dans ” Les Lamentations d’Isis et de Nephthys “, est appelé le beau joueur de sistre. Plus tardivement, Diodore de Sicile attribua la découverte de la lyre à Thot et Plutarque dans ” De Isis et Osiris ” fait de ce dieu l’inventeur de la musique.
Toutefois, les textes semblent s’accorder pour désigner Hathor, ainsi que ses hypostases, comme la divinité la plus représentative du domaine musical. Déesse universelle, tout comme Isis avec laquelle elle va finir par se confondre à partir du Nouvel Empire, Hathor est une représentante essentielle du divin au féminin. Sous son aspect principal de grande maîtresse de l’amour charnel, elle est la déesse de la joie, de la danse, de la musique et de l’ivresse. C’est elle qui reçoit le défunt dans la montagne occidentale dont elle est la Maîtresse. Le collier ménat, lourd collier à contrepoids dont l’agitation produisait un bruit de crécelle, et le sistre, souvent tenu par son fils, le petit dieu Ihy, sont les instruments de son culte. Comme d’autres déesses, Hathor est l’oeil de Rê, envoyé pour anéantir l’humanité et qui, dans les mythes, fut apaisée soit au moyen d’une drogue soit grâce à la musique.

La musique sacrée

L’absence de documents ne nous permet pas de connaître le répertoire musical de l’Égypte pharaonique. Toutefois, la plupart des travaux publiés tendent vers une même hypothèse : il existe des liens étroits entre les hymnes et les psaumes de l’Église copte et la musique de l’Égypte ancienne.
Lorsque le Christianisme s’est implanté dans la Vallée du Nil, le culte était encore pratiqué avec une certaine liberté, favorisant les influences locales. Il n’est donc pas impossible que les premières communautés chrétiennes aient repris les mélodies des temples païens en modifiant le texte qui les accompagnaient.
Quelques caractéristiques communes ont d’ailleurs été décelées. Ainsi, la musique de l’époque pharaonique comme celle de l’Église copte se sont transmises oralement. On note également aux deux époques un certain goût pour les chanteurs professionnels aveugles.
Le fameux hymne Kyrie Eleison pourrait trouver son origine dans une prière au dieu solaire Aton, non seulement au niveau du texte mais aussi dans sa partie musicale.
De plus, alors que les mélismes (plusieurs tons chantés sur une même syllabe) utilisés dans les chants orientaux, ont un caractère purement ornemental que l’on trouve également dans la musique liturgique copte, celle-ci est la seule à produire de longues vocalises chantées, faisant partie intégrante de la mélodie, dans les mêmes temps que les parties syllabiques. Ce type musical serait peut-être un vestige de la musique savante chantée dans les temples pharaoniques.
En effet, on remarque parfois dans ces mélismes certaines anomalies (un manque de syllabes chantées ou des phrases musicales ne correspondant pas au début ou à la fin des phrases écrites) qui donnent l’impression que la musique existait avant les paroles.
Cette hypothèse est renforcée par ce que disent les Anciens. Démétrius de Phalère, chef de la bibliothèque d’Alexandrie sous Ptolémée II Philadelphe, mentionne que “les prêtres chantaient à leurs dieux des hymnes à sept voyelles, ce qui produisait des sons mélodieux accompagnés d’une flûte ou à la harpe”. Les écrits gnostiques d’Égypte, quant à eux, utilisent l’expression “chant des voyelles”.
Pour corroborer cette théorie, Hickman donne à un signe hiéroglyphique signifiant “répéter X fois” une interprétation musicale, “une sorte de répétition rythmée d’une interjection syllabique”.
Enfin, les instruments d’usage courant en Égypte pharaonique (la harpe d’abord, puis les cymbales, le tambour, la flûte et même le sistre), furent également utilisés au cours des premières cérémonies chrétiennes, assurant une certaine continuité entre la musique antique et celle de la liturgie copte.
Par contre, nous savons peu de choses des influences subies par la musique copte au fil des siècles. Cependant, la minorité chrétienne d’Égypte dut se protéger des influences islamiques, surtout dans le domaine du culte, ce qui laisse supposer que la musique liturgique a conservé une bonne part de son authenticité.
Parallèlement à une étude des chants liturgiques coptes, la musicologue hongroise Ilona Borsa s’est intéressée à la musique vivante de l’Égypte actuelle. Elle mena son enquête dans les campagnes afin d’y retrouver des vestiges de l’ancienne musique populaire. Selon elle, certaines coutumes ainsi que les musiques et les chants qui y sont attachés, semblent être restées pratiquement inchangées jusqu’à ce jour.

Habitudes ancestrales

En effet, après la conquête de l’Égypte, la majorité des Arabes préférèrent se fixer dans les villes ou poursuivre leur vie de nomades. Ainsi, même s’ils se sont convertis à l’Islam, les fellahs ont pu conserver une partie de leurs habitudes ancestrales, surtout en Haute Égypte. Certes, leur langue a changé mais, comme pour la musique religieuse des premiers temps du Christianisme, les paroles des chansons ont très bien pu s’adapter à une mélodie existante.
Les chants, présents dans la vie quotidienne, donnent du cœur à l’ouvrage, chassent l’ennui et aident à coordonner les tâches effectuées en groupe.
Ils ponctuent chaque étape importante de la vie :
– La naissance et les chants de la cérémonie de la Sibua qui a lieu le septième jour après l’arrivée de l’enfant.
– La circoncision, pratiquée en Égypte depuis l’Antiquité, accompagnée de chants avant, pendant et après l’opération.
– La lamentation, plainte mélodieuse sur un mort, qui n’est pas sans évoquer les scènes des pleureuses retrouvées dans les tombes thébaines et mentionnées chez Hérodote et Diodore de Sicile.
Tout comme c’est le cas pour l’étude de la transcription musicale, un long chemin reste encore à faire si l’on veut découvrir un jour les rythmes et les mélodies de l’époque pharaonique. Mais des pistes sont ouvertes…

Sources 
Preserving Pharos psalms For Christ, par Raymond Stock.
Coptic Music, Value and Origins par Ragheb Moftah Habashy.
et surtout À la recherche de l’ancienne musique pharaonique par Ilona Borsai. Conférence donnée au Centre du Livre, Le Caire, 5 Avril I967. Publiée ensuite dans les Cahiers d’Histoire Égyptienne, Vol. XI, Le Caire, 1968, pp. 25-42.

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